Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/89

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à plaider. Les vrais tenants étoient, de chaque côté, M. le Duc et Mme la princesse de Conti, l’aînée de ses sœurs. M. et Mme du Maine gardoient des mesures, mais se tenoient invinciblement attachés à Mme la princesse de Conti. Mlle d’Enghien, dont les droits se trouvoient conservés par les procédures de ses soeurs, demeura, sans y renoncer, neutre du reste auprès de Mme la Princesse. Le temps avoit coulé depuis la mort de M. le Prince jusqu’à celui-ci en projets d’accommodement, en allées et venues, en consultations, puis en assignations et en délais, au bout desquels vint le moment fatal de plaider tout de bon. Chacun chercha des sollicitations puissantes, et le duc du Maine, avec toutes ses mesures, non moins soigneusement que les autres.

M. le Duc, qui redoutoit son crédit, se proposa de faire effort de supériorité de naissance et d’autorité, et contre sa coutume s’avisa de donner, dix ou douze jours avant la première audience, un grand souper à Paris à beaucoup de gens de la cour. Dans la chaleur du repas, il but à eux et voulut qu’ils bussent à lui. Il s’humanisa en compliments flatteurs qui n’étoient guère de son style ; et tout de suite leur dit qu’il avoit une telle confiance en leur amitié qu’il se flattoit qu’ils ne l’abandonneroient pas au palais, et qu’ils ne lui refuseroient pas leur parole de l’y accompagner à toutes les audiences dont il avoit résolu de ne manquer aucune, et de distinguer par ceux qui s’y trouveroient avec lui ses véritables amis, par ceux qui n’y viendroient pas les gens qui ne seroient pas ses amis, et par ceux qui y accompagneroient ses parties ses ennemis. La surprise et l’embarras d’un compliment si net et si peu attendu, et qui étoit un enrôlement dans toutes les formes, produisit un silence profond. Les conviés se regardèrent, chacun d’eux attendoit que quelqu’un prit la parole, aucun ne l’osa hasarder. M. le Duc, étonné à son tour d’un si éloquent silence, le laissa durer un peu, puis le rompit par de nouveaux empressements qui