Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je poussois donc le temps avec l’épaule sur les voyages de Meudon, embarrassé de Monseigneur et du monde, en ne m’y présentant jamais, beaucoup plus en peine d’y hasarder des voyages. Si ce continuel présent me causoit ces soucis, combien de réflexions plus fâcheuses : la perspective d’un avenir qui s’avançoit tous les jours, qui mettroit Monseigneur sur le trône, et qui, à travers le chamaillis de ce qui le gouvernoit et le voudroit dominer alors à l’exclusion des autres, porteroit très-certainement sur le trône avec lui les uns ou les autres de ces mêmes ennemis qui ne respiroient que ma perte, et à qui elle ne coûteroit alors que le vouloir ! Faute de mieux, je me soutenois de courage. Je me disois qu’on n’éprouvoit jamais ni tout le bien ni tout le mal qu’on avoit, à ce qu’il sembloit, le plus de raison de prévoir. J’espérois ainsi, contre toute espérance, de l’incertitude attachée aux choses de cette vie, et je coulois le temps ainsi à l’égard de l’avenir, mais dans le dernier embarras sur le présent pour Meudon.

J’allai donc rêver et me délasser à mon aise, pendant cette quinzaine de Pâques, loin du monde et de la cour, qui, à celle de Monseigneur près, n’avoit pour moi rien que de riant ; mais cette épine, et sans remède, m’étoit cruellement poignante, lorsqu’il plut à Dieu de m’en délivrer au moment le plus inattendu. Je n’avois à la Ferté que M. de Saint-Louis, vieux brigadier de cavalerie fort estimé du roi, de M. de Turenne et de tout ce qui l’avoit vu servir, retiré depuis trente ans dans l’abbatial de la Trappe, où il menoit une vie fort sainte ; et un gentilhomme de Normandie qui avoit été capitaine dans mon régiment, et qui m’étoit fort attaché. Je m’étois promené avec eux tout le matin du samedi 11, veille de la Quasimodo, et j’étois entré seul dans mon cabinet un peu avant le dîner, lorsqu’un courrier, que Mme de Saint-Simon m’envoya, m’y rendit une lettre d’elle qui m’apprit la maladie de Monseigneur.