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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/115

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nous parurent courtes, mais que l’heure du souper termina. Mme la duchesse d’Orléans s’en alla chez Mme sa fille, et nous passâmes dans ma chambre, où bonne compagnie s’étoit cependant assemblée, qui soupa avec nous.

Tandis qu’on étoit si tranquille à Versailles, et même à Meudon, tout y changeoit de face. Le roi avoit vu Monseigneur plusieurs fois dans la journée, qui étoit sensible à ces marques d’amitié et de considération. Dans la visite de l’après-dînée, avant le conseil des dépêches, le roi fut si frappé de l’enflure extraordinaire du visage et de la tête, qu’il abrégea, et qu’il laissa échapper quelques larmes en sortant de la chambre. On le rassura tant qu’on put ; et après le conseil des dépêches, il se promena dans les jardins.

Cependant Monseigneur avoit déjà méconnu Mme la princesse de Conti, et Boudin en avoit été alarmé. Ce prince l’avoit toujours été. Les courtisans le voyoient tous les uns après les autres, les plus familiers n’en bougeoient jour et nuit. Il s’informoit sans cesse à eux si on avoit coutume d’être dans cette maladie dans l’état où il se sentoit. Dans les temps où ce qu’on lui disoit pour le rassurer lui faisoit le plus d’impression, il fondoit sur cette dépuration des espérances de vie et de santé ; et en une de ces occasions, il lui échappa d’avouer à Mme la princesse de Conti qu’il y avoit longtemps qu’il se sentoit fort mal sans en avoir voulu rien témoigner, et dans un tel état de faiblesse que, le jeudi saint dernier, il n’avoit pu durant l’office tenir sa Semaine sainte dans ses mains.

Il se trouva plus mal vers quatre heures après midi, pendant le conseil des dépêches, tellement que Boudin proposa à Fagon d’envoyer querir du conseil, lui représenta qu’eux, médecins de la cour qui ne voyoient jamais aucune maladie de venin, n’en pouvoient avoir d’expérience, et le pressa de mander promptement des médecins de Paris ; mais Fagon se mit en colère, ne se paya d’aucunes raisons, s’opiniâtra au