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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/117

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troublé, que tout étoit perdu. On peut juger quelle horreur saisit tout le monde en ce passage si subit d’une sécurité entière à la plus désespérée extrémité.

Le roi, à peine à lui-même, prit à l’instant le chemin de l’appartement de Monseigneur, et réprima très-sèchement l’indiscret empressement de quelques courtisans à le retenir, disant qu’il vouloit voir encore son fils, et s’il n’y avoit plus de remède. Comme il étoit près d’entrer dans la chambre, Mme la princesse de Conti, qui avoit eu le temps d’accourir chez Monseigneur dans ce court intervalle de la sortie de table, se présenta pour l’empêcher d’entrer. Elle le repoussa même des mains, et lui dit qu’il ne falloit plus désormais penser qu’à lui-même. Alors le roi, presque en foiblesse d’un renversement si subit et si entier, se laissa aller sur un canapé qui se trouva à l’entrée de la porte du cabinet par lequel il étoit entré, qui donnoit dans la chambre. Il demandoit des nouvelles à tout ce qui en sortoit, sans que presque personne osât lui répondre. En descendant chez Monseigneur, car il logeoit au-dessus de lui, il avoit envoyé chercher le P. Tellier, qui venoit de se mettre au lit ; il fut bientôt habillé et arrivé dans la chambre ; mais il n’étoit plus temps, à ce qu’ont dit depuis tous les domestiques, quoique le jésuite, peut-être pour consoler le roi, lui eût assuré qu’il avoit donné une absolution bien fondée. Mme de Maintenon, accourue auprès du roi, et assise sur le même canapé, tâchoit de pleurer. Elle essayoit d’emmener le roi, dont les carrosses étoient déjà prêts dans la cour, mais il n’y eut pas moyen de l’y faire résoudre que Monseigneur ne fût expiré.

Cette agonie sans connoissance dura près d’une heure depuis que le roi fut dans le cabinet. Mme la Duchesse et Mme la princesse de Conti se partageoient entre les soins du mourant et ceux du roi, près duquel elles revenoient souvent, tandis que la Faculté confondue, les valets éperdus, le courtisan bourdonnant, se poussoient les uns les autres,