Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/124

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seigneur avoit si bien trompé tout le monde, que le duc de Beauvilliers étoit revenu à Versailles après le conseil de dépêches, et qu’il y coucha contre son ordinaire depuis la maladie de Monseigneur. Comme il se levoit fort matin, il se couchoit toujours sur les dix heures, et il s’étoit mis au lit sans se défier de rien. Il ne fut pas longtemps sans être réveillé par un message de Mme la duchesse de Bourgogne, qui l’envoya chercher, et il arriva dans son appartement peu avant son retour du passage du roi. Elle retrouva les deux princes et Mme la duchesse de Berry avec le duc de Beauvilliers, dans ce petit cabinet où elle les avoit laissés.

Après les premiers embrassements d’un retour qui signifioit tout, le duc de Beauvilliers, qui les vit étouffant dans ce petit lieu, les fit passer par la chambre dans le salon qui la sépare de la galerie, dont, depuis quelque temps, on avoit fermé ce salon d’une porte pour en faire un grand cabinet. On y ouvrit des fenêtres, et les deux princes, ayant chacun sa princesse à son côté, s’assirent sur un même canapé près des fenêtres, le dos à la galerie ; tout le monde épars, assis et debout, et en confusion dans ce salon, et les dames les plus familières par terre aux pieds ou proche du canapé des princes.

Là, dans la chambre et par tout l’appartement, on lisoit apertement sur les visages. Monseigneur n’étoit plus ; on le savoit, on le disoit, nulle contrainte ne retenoit plus à son égard, et ces premiers moments étoient ceux des premiers mouvements peints au naturel et pour lors affranchis de toute politique, quoique avec sagesse, par le trouble, l’agitation, la surprise, la foule, le spectacle confus de cette nuit si rassemblée.

Les premières pièces offroient les mugissements contenus des valets, desespérés de là perte d’un maître si fait exprès pour eux, et pour les consoler d’une autre qu’ils ne prévoyoient qu’avec transissement, et qui par celle-ci devenoit la leur propre. Parmi eux s’en remarquoient d’autres des