Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assez pris de Mme la duchesse de Berry pour sentir toute la différence de fils à frère de Dauphin et de roi, et dans la suite le vide de Meudon et des parties avec Monseigneur aux plaisirs et à l’amusement de sa vie.

Le roi d’Espagne subsistoit dans le cœur de Monseigneur par le sentiment ordinaire d’aimer davantage ceux pour qui on a grandement fait, et dont on n’est pas à portée d’éprouver l’ingratitude ou la reconnoissance. La cabale qui n’avoit rien à craindre de si loin, et de plus liée, comme on l’a vu, avec la princesse des Ursins au point où elle l’étoit, entretenoit avec soin l’amitié de Monseigneur pour ce prince, et lui ôtait tout soupçon, en la fomentant pour deux de ses fils, d’aucun mauvais dessein par leur conduite à l’égard de l’aîné, dont Monseigneur ne voyoit que ce qui se passoit auprès de lui là-dessus.

De ce long et curieux détail il résulte que Monseigneur étoit sans vice ni vertu, sans lumières ni connoissances quelconques, radicalement incapable d’en acquérir, très-paresseux, sans imagination ni production, sans goût, sans choix, sans discernement, né pour l’ennui qu’il communiquoit aux autres, et pour être une boule roulante au hasard par l’impulsion d’autrui, opiniâtre et petit en tout à l’excès, de l’incroyable facilité à se prévenir et à tout croire qu’on a vue ; livré aux plus pernicieuses mains, incapable d’en sortir ni de s’en apercevoir, absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres, et que, sans avoir aucune volonté de mal faire, il eût été un roi pernicieux.