Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/291

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pieds. Son âme toutefois parut toujours dans la même assiette ; même sagesse, même modération, même attention, même douceur, même accès, même politesse, même tranquillité, sans le moindre élan d’élévation, de distraction, d’empressement. Une autre cause plus digne de lui le combloit d’allégresse. Sûr du fond du nouveau Dauphin, il prévit son triomphe sur les esprits et sur les cœurs dès qu’il seroit affranchi et en sa place, et ce fut sur quoi il s’abandonna secrètement avec nous à sa sensibilité. Chevreuse, un avec lui dans tous les temps de leur vie, s’éjouit avec lui de la même joie, et y en trouva les mêmes motifs, et leurs familles s’applaudirent d’un consolidement de fortune et d’éclat qui ne tarda pas à paroître. Mais celui de tous à qui cet événement devint le plus sensible fut Fénelon, archevêque de Cambrai. Quelle préparation ! Quelle approche d’un triomphe sûr et complet, et quel puissant rayon de lumière vint à percer tout à coup une demeure de ténèbres ! Confiné depuis douze ans dans son diocèse, ce prélat y vieillissoit sous le poids inutile de ses espérances, et voyoit les années s’écouler dans une égalité qui ne pouvoit que le désespérer. Toujours odieux au roi, à qui personne n’osoit prononcer son nom, même en choses indifférentes ; plus odieux à Mme de Maintenon, parce qu’elle l’avoit perdu ; plus en butte que nul autre à la terrible cabale qui disposoit de Monseigneur, il n’avoit de ressource qu’en l’inaltérable amitié de son pupille, devenu lui-même victime de cette cabale, et qui, selon le cours ordinaire de la nature, le devoit être trop longtemps pour que le précepteur pût se flatter d’y survivre, ni par conséquent de sortir de son état de mort au monde. En un clin d’œil, ce pupille devient Dauphin ; en un autre, comme on va le voir, il parvient à une sorte d’avant-règne. Quelle transition pour un ambitieux ! On l’a déjà fait connoître lors de sa disgrâce. Son fameux Télémaque, qui l’approfondit plus que tout et la rendit incurable, le peint d’après nature. C’étoient les thèmes de son