Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/300

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par les événements ; et cela avoit mis le dernier degré à leur ouverture sur tout avec moi, dont ils avoient de plus éprouvé en tout la plus constante et la plus fidèle amitié de toute préférence.

Ce fut donc une joie bien douce et bien pure de me trouver le seul homme de la cour dans l’amitié la plus intime, et dans la plus entière confiance de ce qui, privativement à tout autre, et sans crainte de revers, alloit figurer si grandement à la cour, et si puissamment sur le nouveau Dauphin qui alloit donner le ton à toutes choses. Plus ma liaison intime étoit connue avec les deux ducs, et plus je me tins en garde contre tout extérieur trop satisfoit, et plus encore important, et plus j’eus soin que ma conduite et ma vie se continssent dans tout leur ordinaire à tous égards.

Dans ce grand changement de scène il ne parut donc d’abord que deux personnages en posture d’en profiter : le duc de Beauvilliers, et par lui le duc de Chevreuse, et un troisième en éloignement, l’archevêque de Cambrai. Tout rit aux deux premiers tout à coup, tout s’empressa autour d’eux, et chacun avoit été de leurs amis dans tous les temps. Mais en eux les courtisans n’eurent pas affaire à ces champignons de nouveaux ministres tirés en un moment de la poussière, et placés au timon de l’État, ignorants également d’affaires et de cour, également enorgueillis et enivrés, incapables de résister, rarement même de se défier de ces sortes de souplesses, et qui ont la fatuité d’attribuer à leur mérite ce qui n’est prostitué qu’à la faveur. Ceux-ci, sans rien changer à la modestie de leur extérieur, ni à l’arrangement de leur vie, ne pensèrent qu’à se dérober le plus qu’il leur fut possible aux bassesses entassées à leurs pieds, à faire usage de leurs amis d’épreuve, à se fortifier près du roi par une assiduité redoublée, à s’ancrer de plus en plus près de leur Dauphin, à le conduire à paroître ce qu’il étoit, sans avoir surtout l’air de le conduire, et pour faire que,