Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et qui troubloit toute ma joie, de voir mes deux plus intimes amis en état ensemble que l’un infailliblement seroit perdu et anéanti par l’autre. Il ne falloit pas un motif moins puissant pour me faire entreprendre un ouvrage si voisin de l’impossible, et que l’extrême nécessité cessa lors, pour la première fois, de me laisser envisager comme une folie.

Dès le soir même, après que les soupeurs se furent retirés de chez Pontchartrain, j’entrai chez lui, où je n’allois plus familièrement, et même très-rarement. L’heure ajouta à sa surprise ; je lui dis, d’abordée et d’un air grave et froid, que quoique ma coutume ne fût pas de lui faire des leçons, et que j’eusse lieu d’en être encore plus éloigné que jamais, j’avois pourtant des choses à lui dire dont je ne pouvois me dispenser ; qu’il ne me demandât ni de mes raisons ni d’où je prenois ce que j’avois à lui dire ; qu’il se contentât d’apprendre qu’il ne pouvoit m’écouter avec trop d’attention, ni prendre trop de soin d’en profiter sans délai. Après une préface si énergique, je lui dis, comme si j’en avois été l’auteur, tout ce que j’avois permission de lui dire, et cela tout de suite comme une leçon apprise par cœur. Je fus écouté avec toute l’attention que demandoit ma préface et la matière qui la suivit. Pontchartrain sentit aisément que les faits singuliers que je lui spécifiai ne pouvoient m’être venus que d’endroits importants. Il voulut s’excuser sur certaines choses, sur d’autres il avoua, et accusa son humeur. Je répondis qu’avec moi tout cela étoit inutile, que son affaire étoit de profiter de ce qu’il venoit d’entendre, la mienne de m’aller coucher, et là-dessus je le quittai aussi brusquement que je l’avois abordé. Je rendis compte le lendemain de ce que j’avois dit à Pontchartrain au duc de Beauvilliers. Il augmenta ma frayeur par ce qu’il me laissa voir de l’imminence de la chute, et néanmoins il convint d’attendre ce que produiroit ma remontrance.

À quelques jours de là, me promenant après minuit en