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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/365

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avoit pris comme je me l’étois proposé. Je me rendis peu à peu plus assidu à ses promenades, mais sans les suivre entières, qu’autant que la foule, ou des gens dangereux ne les grossissoient pas, et j’y pris la parole avec plus de liberté. Je demeurai sobre à le voir chez lui avec le monde, et je m’approchois de lui dans le salon, suivant que j’y voyois ma convenance.

Je lui avois présenté notre mémoire contre d’Antin lors du procès, et je n’avois pas manqué de lui glisser un mot sur notre dignité, à laquelle je le savois très-favorable, et par principes. II avoit lu le mémoire et avoit été fort aise, à cause de quelques-uns d’entre nous, de le trouver fort bon, et la cause de d’Antin insoutenable. Je n’ignorois pas aussi ce qu’il pensoit sur la forme du gouvernement de l’État, et sur beaucoup de choses qui y ont rapport ; et ses sentiments là-dessus étoient les miens mêmes, et ceux des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, par qui j’étois bien instruit. C’étoit l’avoir trop beau pour n’essayer pas à en tirer grand parti. Je me rendis donc attentif à saisir tout ce qui pourroit me conduire à entrer naturellement en matière, et je ne fus pas longtemps à en trouver le moment.

Quelques jours après étant dans le salon, j’y vis entrer le Dauphin et la Dauphine ensemble se parlant à diverses reprises. Je m’approchai d’eux, et j’entendis les dernières paroles. Elles m’excitèrent à demander au prince de quoi il s’agissoit, non pas de front, mais avec un tour de liberté respectueuse, que j’usurpois déjà. Il me répondit qu’ils alloient à Saint-Germain pour la première fois qu’il étoit Dauphin, c’est-à-dire en visite ordinaire, après celle en manteau et en mante ; que cela changeoit le cérémonial avec la princesse d’Angleterre, m’expliqua la chose, et appuya avec vivacité sur l’obligation de ne laisser rien perdre de ses droits légitimes. « Que j’ai de joie, lui répondis-je, de vous voir penser ainsi, et que vous avez raison d’appuyer sur ces sortes d’attentions dont la négligence ternit toutes