Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/371

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exigea de moi sur ce qui regardoit le pouvoir des ministres, et la mauvaise éducation du roi. Il m’avoua même sa joie sur ces deux chapitres, avec une naïveté qui me fit comprendre que, encore qu’il n’apprît rien de nouveau sur les dispositions du Dauphin, les expressions pourtant le lui étoient, et que ce prince n’avoit pas été si net, ni peut-être si loin avec lui. La suite me le fit encore mieux sentir ; car, soit que son caractère personnel lui imposât des mesures qu’il ne se crût pas permis de franchir, ou qu’il ne voulût franchir que peu à peu, peut-être comme un maître qui aime mieux suivre son écuyer en de certains passages, il ne tarda pas à prendre des mesures avec moi pour agir sur plusieurs choses de concert, puis d’une manière conséquente par lui-même, il me parut très-sensible à la confiance pleine de dépendance dont j’usais avec lui là-dessus, et bien déterminé à faire usage de sa situation nouvelle. Peu de jours après j’eus une autre audience. Il faut dire une fois pour toutes que du Chesne ordinairement, rarement M. de Beauvilliers, quelquefois le Dauphin bas, à la promenade, m’avertissoit de l’heure de me trouver chez lui, et que lorsque c’étoit moi qui voulois une audience, je le disois à du Chesne, qui en prenoit l’ordre aussitôt et m’en avertissoit. Où que ce fût dans la suite, Fontainebleau, Versailles, Marly, j’entrois toujours à la dérobée par la garde-robe, où du Chesne avoit soin de m’attendre toujours seul pour m’introduire aussitôt, et de m’attendre à la sortie seul encore, de façon que personne ne s’en est jamais aperçu, sinon une fois la Dauphine, comme je le raconterai en son lieu, mais qui en garda parfaitement le secret.

Je présentai au Dauphin ces trois lettres dont j’ai parlé de M. Colbert à mon père. Il les prit, les regarda fort, les lut toutes trois, et s’intéressa dans l’heureux hasard qui les avoit conservées, et sauvées du peu d’importance de leur contenu. Il en examina les dates, et retomba sur l’insolence