Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/401

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encore à l’avenir que pendant la vie du roi qui retenoit tout dans le tremblement devant lui. Qu’outre cette raison, il ne me pouvoit nier celle d’un esprit supérieur en tout genre, et capable d’atteindre à tout ce qu’il voudroit sitôt qu’il en voudroit faire usage ; que ses campagnes avoient manifesté cette vérité, qui se développeroit bien davantage lorsque, délivré du joug du roi, le dégoût d’une vie ennuyée du néant et de l’inutile à laquelle il étoit maintenant réduit, et l’aiguillon de l’humeur et de l’esprit ambitieux et imaginaire de Mme sa fille, lui donneroient envie de se faire compter sous un nouveau règne, et si alors on ne se repentiroit pas de n’avoir pas, quand on l’avoit pu, mis pour soi, et pour une union si nécessaire, ce qu’on y trouveroit alors si opposé, et toujours, en ce cas, plus ou moins embarrassant. J’assaisonnai la force de ces considérations de celle de l’opinion qu’il savoit que M. de Chevreuse avoit foncièrement de ce prince, qu’il voyoit toujours de fois à autre en particulier de tout temps ; et je me gardai bien d’omettre ce qu’il ne pouvoit ignorer, que M. le duc d’Orléans avoit toujours pensé, et tout haut, sur M de Cambrai. Enfin, je n’oubliai pas de lui faire entendre que les faits historiques, les arts, les sciences, dont le Dauphin aimoit à s’entretenir, étoient une matière toujours prête et jamais épuisée où M. le duc d’Orléans étoit maître, dont il savoit parler nettement et fort agréablement, et qui seroit entre eux un amusement sérieux qui leur plairoit beaucoup à l’un et à l’autre, et qui ne serviroit pas peu au dessein si raisonnable que nous nous proposions. Tant de raisons ébranlèrent le duc de Beauvilliers qui s’étoit ému dès les premiers mots, mais qui à ma prière m’avoit laissé tout dire sans interruption. Il convint de tout, mais en même temps il m’opposa les mœurs et les propos étranges qui lui échappoient quelquefois devant le Dauphin, et qui l’aliénoient infiniment ; et me montra sans peine que cette indiscrétion étoit un obstacle qui mettoit la plus forte barrière à leur liaison. Je le sentois trop pour en pouvoir