Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/415

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moi donc cela, ajouta-t-il, et à quoi il en est. » Je lui dis le fait, et tout ce que je crus le plus capable de l’effrayer, mais en prenant garde de lui rien montrer qui le pût faire douter le moins du monde du duc de Beauvilliers, et le laissant au contraire dans l’opinion de l’effet de leur haine et de son nouveau crédit, qu’il exhala vivement à plus d’une reprise. Je le tins longtemps entre deux fers, comme en effet son fils y avoit été longtemps, et lui dans l’impatience de la conclusion et de savoir où en étoit son fils, et je fis exprès monter cette impatience jusqu’à la dernière frayeur. Alors je lui dis qu’il étoit sauvé ; que pour cette fois il n’avoit plus rien à craindre, et que j’avois même lieu de croire qu’il pouvoit être soutenu par qui l’avoit sauvé. Voilà le chancelier qui respire, qui m’embrasse, et qui me demande avec empressement qui peut être le généreux ami à qui il doit le salut de sa fortune. Je ne me pressai point de répondre, pour l’exciter davantage, et revins à l’extrême et imminent péril dont la délivrance étoit presque incroyable. Le chancelier à pétiller, et à me demander coup sur coup le nom de celui à qui il devoit tout, et à qui il vouloit être sans mesure toute sa vie. Je le promenai encore sur l’excès de l’obligation et sur les sentiments qui lui étoient dus par le chancelier et par toute sa famille ; et, comme il me demanda de nouveau qui c’étoit donc, et si je ne le lui nommerois jamais, je le regardai fixement et d’un air sévère, qui m’appartenoit peu avec lui, mais que je crus devoir usurper pour cette fois : « Que vous allez être étonné, lui dis-je, de l’entendre ce nom que vous devez baiser ; et que vous allez être honteux ! Cet homme que vous haïssez sans cause, que vous ne cessez d’attaquer partout, M. de Beauvilliers enfin, » en haussant la voix et lui lançant un regard de feu, « est celui à qui il n’a tenu, en laissant faire, que votre fils n’ait été chassé, et qui l’a sauvé et raffermi de plus dans sa place. Qu’en direz-vous, monsieur ? » ajoutai-je tout de suite. « Croyez-moi, allez vous cacher. — Ce que j’en dirai, répondit le chancelier