Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/59

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La Rocheguyon et Villeroy qui pourtant en savoit davantage là-dessus que son beau-frère, traitèrent cela de fantaisie, et soutinrent que, tout fou et léger qu’étoit Mortemart, il ne feroit rien de mal à propos dans une affaire où il avoit même intérêt, et dans laquelle il étoit entré de bonne grâce. Là-dessus il entra. Ces messieurs lui firent signer l’opposition, et la lui donnèrent pour la faire signer à Villars, et me la remettre après, le soir même, dans le salon, sans qu’on pût s’en apercevoir, et lui recommandèrent fortement le secret de l’opposition même. Je me défendis de la reprendre en lieu si public. Toutefois cela passa brusquement, et ils renvoyèrent aussitôt le duc de Mortemart, sous prétexte de diligenter la signature dont il s’étoit chargé, et en effet pour me laisser la parole libre. Quand nous eûmes achevé je retournai au salon. Bientôt après j’y aperçus M. de Mortemart au milieu d’un tas de jeunes gens, qui parloit d’un air fort sérieux à M. de Gondrin, fils aîné de d’Antin. Je m’approchai doucement par derrière, j’entendis des compliments et je me retirai. Un peu après le duc de Mortemart vint à moi, son papier à la main, qui tout haut, en plein salon et devant tout le monde, me dit qu’il n’avoit pu trouver le maréchal de Villars, et qu’il me le rendoit. Le trait étoit complet. Nous ne voulions pas qu’il parût d’autre mesure que de simple raisonnement entre nous, moins encore que d’Antin sût qu’il y avoit des opposants, quels, ni combien que par la signification. Tout cela avoit été bien expliqué au duc de Mortemart, et le secret fort recommandé ; et moi qui plus que nul des autres craignois d’y paroître, je m’y vis affiché dans le salon, et tout auprès du lansquenet. Je me battis en retraite, et le Mortemart après moi, disant : « Tenez, tenez ! » son papier à découvert en main, jusque dans le petit salon de la Perspective plein de gens et de valets. Là je le lui pris rudement sans lui dire un seul mot ; je m’en allai chez moi, et j’eus encore la peine de le faire signer à Villars ce même soir.