Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour sa propre vie ne lui laisseroit plus aucun repos. En effet, c’est ce qu’opéra ce rapport, et pour assez longtemps. Le roi outré voulut chercher à savoir d’où le coup infernal pouvoit être parti, sans pouvoir s’apaiser par tout ce que Maréchal lui put dire, et qui disputa vivement contre Fagon et Boudin, lesquels maintinrent aussi vivement leurs avis en ce premier rapport, et n’en démordirent point dans la suite. Boudin, outré d’avoir perdu sa charge et une princesse pleine de bontés pour lui, même de confiance, et ses espérances avec elle, répandit comme un forcené qu’on ne pouvoit pas douter qu’elle ne fût empoisonnée. Quelques autres, qui avoient été à l’ouverture, le dirent à l’oreille à leurs amis ; en moins de vingt-quatre heures la cour et Paris en furent remplis. L’indignation se joignit à la douleur de la perte d’une princesse adorée, et à l’une et à l’autre la frayeur et la curiosité, qui furent incontinent augmentées par la maladie du Dauphin.

Il faut interrompre un moment la suite de ces horreurs, pour parler d’un événement qui devint après considérable. Le maréchal de Villeroy languissoit à Paris, et souvent à Villeroy, dans la plus profonde disgrâce depuis son dernier retour de Flandre, dont on a vu le détail en son lieu. Il ne paraissoit que de loin à loin à Versailles, toujours sans y coucher, à Fontainebleau une fois ou deux au plus, où rarement il couchoit une nuit. Il n’étoit plus question pour lui de Marly. La sécheresse, le silence du roi, l’air d’être peiné de le voir, étoit le même, mais il tenoit toujours à Mme de Maintenon. Sa haine pour Chamillart, qui leur étoit commune, avoit réchauffé entre eux l’ancienne familiarité. La compassion l’engageoit à le voir dans sa maison de la ville toutes les fois qu’il alloit à Versailles ou à Fontainebleau. Ils s’écrivoient souvent ; et le goût qui effaçoit tout en elle, joint au malaise extrême des affaires, l’engageoit même à le consulter et à en recevoir des mémoires. Ces mystères étoient pour le gros du monde, mais ils n’échappoient pas aux plus