Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/202

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qui, par ce moine, qui toutefois étoit bien loin lors de la mort de nos princes, les avoit empoisonnés, et en prétendoit bien empoisonner d’autres. En un instant Paris retentit de ces horreurs ; la cour y applaudit, les provinces en furent inondées, et tôt après les pays étrangers avec une rapidité incroyable, et qui montroit à découvert la préparation du complot, et une publicité qui pénétra jusqu’aux antres. Mme des Ursins ne fut pas moins bien servie en Espagne là-dessus que M. du Maine et Mme de Maintenon en France. Ce fut un redoublement de rage affreux. On fit venir le cordelier pieds et poings liés à la Bastille, où il fut livré uniquement à d’Argenson.

Ce lieutenant de police rendoit compte au roi directement de beaucoup de choses, au désespoir de Pontchartrain, qui, ayant Paris et la cour dans son département de secrétaire d’État, crevoit très-inutilement de dépit de se voir passer par le bec des plumes secrètes et importantes qui faisoient de son subalterne une espèce de ministre plus craint, plus compté, plus considéré que lui, et qui s’y conduisit toujours de façon à s’acquérir des amis en grand nombre, et des plus grands, et à se faire fort peu d’ennemis et encore dans un ordre obscur ou infime. M. le duc d’Orléans laissa tomber cette pluie à verse faute de pouvoir l’arrêter. Elle ne put augmenter la désertion générale ; il s’accoutumoit à sa solitude, et comme il n’avoit jamais ouï parler de ce moine, il n’en eut pas aussi la plus légère inquiétude. Mais d’Argenson, qui l’interrogea plusieurs fois et qui en rendoit directement compte au roi, fut assez adroit pour faire sa cour à M. le duc d’Orléans de ce qu’il ne trouvoit rien qui le regardât, et des services qu’il lui rendoit là-dessus auprès du roi [1]. Il vit en habile homme la folie d’un déchaînement destitué de

  1. Le marquis d’Argenson confirme pleinement dans ses Mémoires (p. 191 édit. 1825) ce que rapporte Saint-Simon. « Mon père, dit-il, garda la foi qu’il devoit au roi ; mais il tourna la persuasion de telle sorte que sur cet interrogatoire M. le duc d’Orléans fut sauvé et innocenté. »