Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/213

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Mais pour soutenir ce qu’elle avoit fait, et faire à bon marché sa cour à M. du Maine, à Mme de Maintenon, au roi même, elle fit ordonner que le corps de ce monstre hideux de grandeur et de fortune seroit porté à l’Escurial. C’étoit combler la mesure des plus grands traitements. Il n’étoit point mort en bataille, et de plus on ne voit aucun particulier enterré à l’Escurial, comme il y en a plusieurs à Saint-Denis. Cet honneur fut donc déféré à ceux qui venoient d’être donnés à sa naissance. C’est aussi ce qui enfla M. du Maine jusqu’à ne pouvoir s’en contenir. Mais en attendant que je parle du voyage que j’ai fait à l’Escurial, si j’ai assez de vie pour pousser ces Mémoires jusqu’à la mort de M. le duc d’Orléans, il faut expliquer ici cette illustre sépulture.

Le panthéon est le lieu où il n’entre que les corps des rois et des reines qui ont eu postérité. Un autre lieu séparé, non de plain-pied, mais proche, fait en bibliothèque, est celui où sont rangés les corps des reines qui n’ont point eu de postérité, et des infants. Un troisième lieu, qui est comme l’antichambre de ce dernier, s’appelle proprement le pourrissoir, quoique ce dernier en porte aussi improprement le nom. Il n’y paroît que les quatre murailles blanches avec une longue table nue au milieu. Ces murs sont fort épais ; on y fait des creux où on met un corps dans chacun, qu’on muraille par-dessus, en sorte qu’il n’en paroît rien. Quand on juge qu’il y a assez longtemps pour que tout soit assez consommé et ne puisse plus exhaler d’odeur, on rouvre la muraille, on en tire le corps, on le met dans un cercueil qui en laisse voir quelque chose par les pieds. Ce cercueil est couvert d’une étoffe riche, et on le porte dans la pièce voisine. Le corps du duc de Vendôme étoit encore depuis neuf ans dans cette muraille lorsque j’entrai dans ce lieu, où on me montra l’endroit où il étoit, qui étoit uni comme tout le reste des quatre murs et sans aucune marque. Je m’informai doucement aux moines chargés de me conduire