Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/225

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sur M. de Soubise, qui étoit le plus beau gendarme et un des hommes le mieux faits de son temps de corps et de visage jusque dans sa dernière vieillesse, et qui se soucia le moins d’encourir la plus mortelle injure qu’un Espagnol puisse dire à un autre, qui jusque dans la lie du peuple ne se pardonne jamais.

Je me souviens qu’étant à Madrid, le marquis de Saint-Simon, qui apprenoit l’espagnol, se fâcha par la ville contre un de mes cochers ; et, voulant dire autre chose, l’appela… À l’instant le cocher arrêta, descendit de son siége, jeta son fouet au nez du jeune homme dans le carrosse, et s’en alla sans qu’il fût possible de l’engager à continuer de mener. On fut quatre ou cinq jours à lui faire entendre que c’étoit méprise, et faute de savoir la langue ni ce que ce mot signifioit ; et ce ne fut qu’à force de l’en persuader qu’on parvint à l’apaiser. Je pense bien aussi que M. de Soubise, qui se trouvoit si bien de mériter ce nom, n’eût pas souffert qu’on l’en eût appelé, car il étoit fort brave homme et bon lieutenant général.

Il étoit fils du second duc de Montbazon et de sa seconde femme ; lequel étoit frère cadet du premier duc de Montbazon, propre neveu paternel du marquis de Marigny, depuis comte de Rochefort, chevalier du Saint-Esprit en 1619 parmi les gentilshommes, et le cinquante-quatrième de cette promotion qui fut en tout de cinquante-huit, frère de père de la connétable de Luynes, si fameuse depuis sous le nom de duchesse de Chevreuse par son second mariage, et de ce prince de Guéméné qui eut tant d’esprit, et qui ne fut duc et pair qu’en 1654 par la mort de leur père ; par conséquent, fils de cette belle Mme de Montbazon, et beau-frère de cette princesse de Guéméné qui attrapa le tabouret par l’adresse que j’ai racontée (t. II, p. 153, 154) ; toutes deux si considérées parmi les frondeurs, et dont la beauté et l’intérêt a tant causé de cabales, les a tant fait figurer dans la minorité de Louis XIV, et tant gouverner les premiers personnages