Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/236

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et que, pressé à l’excès comme il l’étoit de la nécessité de la paix et de la fermeté des Anglois à ne passer pas outre sans être pleinement satisfaits sur la stabilité légale des renonciations, il pourroit à la fin se résoudre, en faveur d’un si grand bien que ses forces épuisées ne lui permettoient plus de différer, et à des conditions si disproportionnées de toutes les précédentes, dont les offres étoient encore si présentes à son esprit.

Dans cet état de choses, j’étois en presse avec M. le duc de Berry et M. le duc d’Orléans. Celui-ci me croyoit instruit des formes nécessaires pour la validité des renonciations, et il en avoit aisément persuadé l’autre. L’un, isolé et fui depuis le paquet des poisons, n’avoit que moi à qui parler et à qui consulter. Indépendamment de l’état où M. du Maine et Mme de Maintenon l’avoient réduit avec la cour et le monde, il n’avoit personne avec qui traiter une matière si délicate ; et M. le duc de Berry timide à l’excès, sous le joug dur et jaloux du roi, avoit encore moins à qui parler là-dessus. Il n’avoit pas pour M. de Beauvilliers l’ouverture et la confiance de son incomparable frère. Il avoit toujours présente une éducation qui lui avoit paru dure par son peu de goût pour l’étude ; par la sévérité avec laquelle il étoit contenu dans le respect pour son aîné, avec lequel, sans préjudice de la plus tendre et de la plus réciproque amitié, il étoit enclin à s’échapper ; et par le sérieux d’un gouverneur toujours en garde, et qui, dans la crainte de ce qui pouvoit arriver un jour, étoit particulièrement occupé de le tenir bas, pour qu’il s’accoutumât à se tenir dans les bornes de la dépendance à l’égard d’un frère destiné à devenir son roi. Il ne voyoit pas en même temps tout ce que le gouverneur faisoit auprès de ce frère pour entretenir l’égalité entre eux, lui faire sentir celle que la nature y avoit mise jusqu’à ce que l’aînesse eût à user de son droit, et alors même la bienséance, la douceur, la solidité de repos et de sûreté à vivre avec son cadet en père, en frère, en ami tout à la fois. Il n’y