Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’ils les persuadassent, comme il étoit facile et certain, eux-mêmes princes ne trouveroient de sûreté que dans les formes proposées, et pour la sûreté de l’Europe et de la paix tiendroient ferme, et obligeroient enfin le roi à les contenter, tant par la nécessité pressante de la paix que pour ne laisser pas persuader l’Europe que, par cette feinte de délicatesse d’autorité, il se vouloit moquer de toute l’Europe, et en particulier des Anglois, à qui il devoit une paix si inespérée et si nécessaire, et les éblouir d’un enregistrement vain qui laissoit la branche d’Anjou dans tous ses droits, et en état, si le cas en arrivoit, de porter à la fois les deux couronnes de France et d’Espagne, après tant de sang répandu pour l’empêcher. Ce propos, vrai et solide, effraya étrangement le duc de Beauvilliers ; il me dit tout ce qu’il put ; moi de me taire. Nous nous séparâmes de la sorte.

Comme je m’habillois le lendemain matin, il m’envoya prier d’aller chez lui. Il me dit qu’il n’avoit point pu dormir de la nuit dans le détroit où je l’avois laissé. Il m’exhorta de nouveau, je demeurai ferme, et la conversation ne finit que par l’heure du conseil. En nous quittant, il me pria qu’il pût m’entretenir encore le lendemain chez lui à la même heure. J’étois dans une vraie angoisse de résister ainsi, pour la première fois, à un homme que je regardois comme mon père et mon oracle depuis toute ma vie, et pour lequel mon estime intime, la tendresse de mon cœur, l’admiration de mon esprit, et la reconnoissance de tout ce qu’il avoit fait pour me porter au plus haut point auprès du Dauphin, n’avoient fait qu’accroître la plus entière déférence pour lui. Je le trouvai dans un état encore plus peiné que je ne l’avois laissé la veille. Il reprit les mêmes raisons. Tandis qu’il parloit je me parlois à moi-même, et je résolus enfin de sortir du déchirement où je me trouvois.

Tout à coup je l’interrompis, et le regardant avec feu : « C’est battre l’eau, monsieur, lui dis-je, que répéter toujours