Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/265

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Une vie si coupée et si nécessairement occupée de riens, déplaisoit souvent à La Salle. Il étoit fort glorieux et entêté de son mérite, et quoique j’eusse peu d’habitude avec lui, et en général c’étoit un homme chagrin, particulier, sauvage, avec qui on n’en avoit guère, je lui ai ouï regretter les gens d’armes, et sa charge qui l’avoit tiré du service, disoit-il, malgré lui, et l’avoit empêché d’être maréchal de France. Désœuvré, par n’avoir plus de fonctions et n’avoir jamais eu beaucoup de commerce, il s’en étoit allé auprès de Dreux, dans une petite terre appelée Montpinçon, dont la maison étoit au bord de la rivière d’Eure, dont les jardins étoient souvent inondés. Il l’accommoda pour habiter et pour s’amuser ; il s’y ennuya, il s’alla promener en basse Normandie chez des gens de sa connoissance. Il trouva dans une de ses visites une fille de vingt ans, jolie et bien faite avec sa mère, qui étoit du voisinage, et qui s’appeloit Mlle de Bénouville. II les vit le soir qu’il y arriva, et y dîna le lendemain avec elles. Quelqu’un à table demanda à la mère si elle ne songeoit point à la marier. Elle répondit qu’elle y pensoit bien, mais que cela n’étoit pas facile quand on n’avoit rien à donner. De propos en propos elle dit que ce qu’elle voudroit trouver, ce seroit quelque homme âgé qui ne songeât point au bien, mais à se donner une compagnie et une femme qui eût soin de lui et qui en fût tout occupée ; que sa fille avoit la raison de penser de même et d’aimer mieux un mariage comme celui-là, qui la mettroit à son aise, que d’épouser un jeune homme. La conversation changea, La Salle ne parut pas y prendre la moindre part, mais il y fit ses réflexions. Elles ne furent pas longues. Dans la fin de la journée il s’informa au maître de la maison de ce que c’étoit que M. Mme et Mlle de Bénouville ; ce qu’il en apprit ne lui déplut pas, et la demoiselle lui avoit donné dans les yeux. Il crut bannir l’ennui de sa vie en l’épousant, et tout de suite pria celui à qui il s’en informoit d’en faire la proposition à la fille et à la mère. Toutes deux, le lendemain