Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/309

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rente. Sa maison étoit à Paris uniquement pour son domestique, lui toujours à la cour, sans y donner jamais à manger. Le roi lui faisoit toujours meubler un bel appartement à Fontainebleau. Il portoit la Toison que le roi d’Espagne lui avoit envoyée lorsqu’il étoit encore à la tête des mécontents.

L’orgueil de M. le Grand ne put supporter longtemps la distinction unique d’une pension de trente mille livres donnée à la duchesse de Chevreuse. Il se fit porter chez le roi, car il ne pouvoit presque plus se soutenir depuis longtemps par l’accablement de la goutte, et là en diminutif de M. de La Rochefoucauld, il se mit à parler de ses maux, de sa fin prochaine, de l’état de ses affaires, de la façon la plus touchante, qu’il finit par demander une grâce sans l’expliquer, avec toute l’instance possible. Le roi, de longue main accoutumé à ne lui refuser rien, lui demanda ce qu’il vouloit. Alors il étala le mérite de Mlle d’Armagnac, sa tendresse pour elle, et sa désolation de se voir sur le point de la laisser sans pain. Avec ses prosopopées, il eut pour elle une pension de trente mille livres.

Mlle de Chausseraye rattrapa en même temps une pension de mille écus, qu’elle avoit perdue moyennant une grosse affaire de finance, que le roi lui avoit permis de faire. Elle prétendit n’en avoir rien tiré, et raccrocha sa pension. On peut voir, t. VIII, p. 57 et suiv., quelle étoit cette maîtresse poulette, de laquelle il sera encore parlé. Le maréchal de Villars obtint aussi une pareille pension pour sa sœur, Mme de Vaugué, dont il avoit fait la duègne et l’Argus de sa femme. Il la logeoit et la nourrissoit pour cela ; mais d’ailleurs il ne donnoit pas un sou à elle ni à ses enfants qui mouroient de faim. C’étoient de petits gentilshommes tout au plus de Dauphiné, et des plus minces, dont on n’avoit jamais ouï parler.

Bockley, frère de la duchesse de Berwick, apporta au roi, le 12 janvier, la nouvelle de la retraite de Staremberg, le 3 au soir, vers Ostalric, qui avoit levé le blocus de Girone,