Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/31

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le besoin de soi et pour éloigner un temps de paix où il se verroit exposé à mille dégoûts à Vienne, où il avoit régné jusqu’alors présent et absent, et c’est ce qui le précipita dans ce déshonorant voyage d’Angleterre, où il fit un si étrange personnage, et qui se voit si bien dans la description qui s’en trouve dans les Pièces, à propos des négociations de la paix.

Le peu de satisfaction qu’il eut à Insprück lui annonça à quoi il devoit s’attendre. La paix faite, il vécut à Vienne de dégoûts, sous une considération apparente, dans les premières places du militaire et du civil, sous lesquelles enfin, avec les années, son esprit succomba plutôt que sa santé, et le précipita à chercher et à trouver la fin de sa vie, ce que j’ai voulu dire ici en deux mots, parce que cet événement dépasse de beaucoup le terme que je me suis proposé de donner à ces Mémoires. Le prince Eugène cacha comme il put son chagrin, quitta Insprück promptement pour retourner en Hollande mettre obstacle de tout son crédit à la paix, et aller essayer d’étranges choses en Angleterre pour y remettre à flot Marlborough à la guerre, où il ne recueillit que de la honte et du mépris. C’est ainsi qu’on voit quelquefois qu’au lieu de se plaindre que la vie est trop courte, il arrive à de grands hommes de vivre beaucoup trop longtemps. L’archiduc devoit partir d’Insprück pour arriver à Francfort le 18 et y être couronné empereur le 23.

Pendant ce temps-là Staremberg entreprit de prendre Tortose sur quelque intelligence qu’il y avoit. Il en fit approcher trois mille hommes si diligemment et si secrètement, qu’ils attaquèrent la place par trois différents endroits la nuit et en même temps, sans qu’on s’y attendît. Le gouverneur étoit à l’armée de M. de Vendôme. Le lieutenant du roi se défendit si bien, qu’avec une très-médiocre garnison il les rechassa de leurs trois attaques, reprit le chemin couvert dont ils s’étoient rendus maîtres, leur tua plus de cinq