Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/320

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abbaye, il laissa six cent mille livres. Cela me fait souvenir d’une singularité d’un autre genre. L’archevêque d’Auch, frère de Desmarets, passoit sa vie à Paris en hôtel garni, et en robe de chambre, sans voir personne, ni ouvrir aucune lettre qu’il reçût, qu’il laissoit s’amasser en monceaux. À la fin le roi se lassa et dit à Desmarets de le renvoyer à son église. L’embarras fut d’autant plus grand d’en entreprendre le voyage, qu’il en étoit depuis assez longtemps aux emprunts pour vivre, et aux expédients. Refusé partout où il s’adressa, et pressé sans relâche, son secrétaire s’avisa de lui proposer d’attaquer cette montagne de lettres et de paquets fermés, pour voir s’il ne s’y trouverai point quelque lettre de change ; faute de ressource, il y consentit. Le secrétaire se mit en besogne, et trouva pour cent cinquante mille livres de lettres de change de toutes sortes de dates, dans l’ignorance desquelles il mouroit de faim. Il s’en alla donc, et ne fut plus en peine de payer sa dépense.

Le connétable de Castille mourut en ce même temps dans sa prison à Bayonne. Il étoit majordome-major du roi d’Espagne, qui est la plus grande charge. Elle fut donnée sur-le-champ au marquis de Villena, qui avoit été vice-roi de Naples et pris les armes à la main à Gaëte par les Impériaux. Le choix ne pouvoit être plus digne, jusqu’à honorer le roi qui le fit. J’ai déjà parlé de ce seigneur, et j’en aurai occasion encore, et d’expliquer ce que c’est que la charge qu’il eut.

Chalois, qui avoit vu Mme des Ursins à Bagnères, et qui en étoit revenu à Paris, en repartit en ce même temps avec son cordelier prisonnier, qu’il conduisit en Espagne. Ce métier de recors ne lui réussit pas dans le monde.

Le duc et la duchesse de Shrewsbury étoient arrivés depuis quelque temps. J’ai marqué en deux mots (p. 256 ci-dessus), quel étoit cet ambassadeur d’Angleterre. On le trouvera plus expliqué dans les Pièces concernant le traité de Londres [1]. Il

  1. On a déjà dit que ces Pièces n’avaient pas été remises à M. le duc de Saint-Simon en même temps que les Mémoires dont elles sont le complément.