Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/324

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latinité, et tout l’art dans lequel les jésuites sont si grands maîtres, à flatter et à établir les prétentions les plus ultra-montaines, et à canoniser la doctrine la plus décriée des théologiens et des casuistes de son ordre. Il fit plus : il fit par ses éloges des saints du premier ordre, et des martyrs qui méritent un culte public, des jésuites les plus abhorrés pour les fureurs de la Ligue, pour la conspiration des poudres en Angleterre, et pour celles qui ont été tramées contre la vie d’Henri IV : tout cela prouvé par la supériorité du pape sur le temporel des rois, son droit d’absoudre leurs sujets du serment de fidélité, de les déposer et de disposer de leur couronne, enfin par le principe passé chez eux en dogme qu’il est permis de tuer les tyrans, c’est-à-dire les rois qui incommodent. Le public frémit à cette lecture, et le parlement voulut faire son devoir.

Le P. Tellier soutint fort et ferme un ouvrage qui portoit le nom de son auteur, qui étoit muni de l’approbation de ses supérieurs, et qui étoit si conforme à l’esprit, aux maximes, à la doctrine et à la constante conduite de la société. Il m’en vint parler plusieurs fois. Je ne lui cachai rien de ce que je pensois des énormités de ce livre, et de l’audace de le publier. J’admirai les cavillations de ses réponses et la pertinacité de son attachement à introduire ces horreurs. Je ne fus pas moins surpris de sa constance à vouloir me persuader, et de sa patience à supporter mes réponses. Quoique depuis la perte du Dauphin il n’eût plus les mêmes raisons de me cultiver, il ne s’en relâcha pourtant pas le moins du monde. Il ne pouvoit ignorer en quelle situation j’étois avec M. le duc de Berry, et surtout avec M. le duc d’Orléans. Il voyoit le roi vieillir, et un Dauphin dans la première enfance : un jésuite a tous les temps présents. Il eut meilleur marché du roi, quoique ce livre attaquât si directement la puissance, la couronne et la vie même des rois. Il se souvenoit apparemment du testament de mort du P. de La Chaise ; je veux dire de l’avis si prodigieux qu’il