Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ou en rire. Je répondis que j’en riais aussi, mais que de laisser faire des sottises à mon égard, je n’y étois pas accoutumé, et que le maréchal m’y accoutumeroit moins qu’homme du monde ; que je comprenois fort bien, le connoissant aussi fou qu’il étoit, qu’il étoit capable d’une incartade, mais que je me croyois bon aussi pour la lui faire rentrer au corps, et le roi trop juste pour ne s’en pas prendre à qui la feroit, non à qui l’essuieroit et la repousseroit, et qu’en deux paroles Montrevel pouvoit compter que je ne changerois pas de manières avec lui qu’il n’en changeât et totalement le premier avec moi ; qu’au demeurant s’il n’étoit pas content il n’avoit qu’à prendre des cartes. Je me séparai là-dessus d’avec M. du Maine, qui ne trouva point mauvais ce que je lui dis, mais qui auroit désiré autre chose.

Je n’ai point su ce qu’il dit à Montrevel, mais à deux jours de là, je fus surpris de voir Montrevel qui m’évitoit souvent, et qui pouvoit alors le faire aisément, m’attendre à sa portée, et me faire devant beaucoup de monde dans le salon la révérence du monde la plus profonde, la plus marquée, la plus polie. Je la lui rendis honnête, et depuis ce moment là la politesse qu’on se doit les uns aux autres demeura rétablie entre nous. Je pressois M. du Maine, le maréchal tiroit de longue. Il se fiait pourtant à ce goût bizarre et constamment soutenu que le roi avoit eu pour lui toute sa vie, en la protection secrète du maréchal de Villeroy, qui étoit son ami de fatuité et de vieille galanterie, mais qui ne vouloit pas se montrer contre moi, enfin dans l’intérêt du comte d’Eu qu’il soutenoit devant son père, parce qu’il faisoit toutes les fonctions de gouverneur de Guyenne. Nous étions, lui et moi, fort éloignés de compte ; il prétendoit beaucoup plus qu’aucun gouverneur de province sur aucun gouverneur particulier dont le gouvernement étoit entièrement assujetti au gouvernement général de la province. Moi, au contraire, je ne lui voulois passer aucune autorité sur moi,