Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/47

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femme si délicate, si aisée a blesser, et dont la jalousie de tout autre ménagement s’effarouchoit à son égard aussi facilement qu’à celui des autres. C’est qu’il me cachoit la situation où il se trouvoit avec elle, et qu’il craignoit de l’empirer si elle soupçonnoit qu’ainsi mal avec elle, il se jetât d’un côté, qu’elle haïssait autant, et sans sa participation qu’il n’étoit pas en état de sonder.

Moi, qui ignorois ce fond, j’attribuai cette mesure craintive à une connoissance encore plus grande qu’il avoit de l’éloignement du roi, et surtout de sa tante pour M. le duc d’Orléans, que celle que nous n’ignorions pas ; et cette pensée me fut une raison de plus de désirer et de presser le renouement, que j’espérois dans la suite pouvoir contribuer à émousser Mme de Maintenon, et la rendre moins ennemie de M. le duc d’Orléans, en lui mettant le duc de Noailles pour contre-poids à M. du Maine. J’en parlai en ces termes-là à M. le duc d’Orléans, et plus mesurément à Mme la duchesse d’Orléans. Ils y entrèrent l’un et l’autre, et ils voulurent bien que le duc de Noailles allât chez eux en un temps d’obscurité et de solitude, sans explication, et comme le passé non avenu, en un mot sur le pied précédent ; que le duc de Noailles ne les vît pas plus souvent que lui-même croiroit le pouvoir faire, et qu’en public il ne se marquât rien de ce changement entre eux. Cela fut exécuté de la sorte. La visite se passa très-bien à ce qu’il m’en revint des deux côtés ; les suivantes furent très-rares. Le bâton, que le duc de Noailles prit au 1 janvier, y servit de nouvelle excuse qu’il me pria souvent de réitérer.

Content de ce premier succès, qui nourrissoit et augmentoit notre confiance, il craignit apparemment que le temps ne me découvrît ce qu’il m’avoit caché, et que le temps aussi m’avoit appris, mais dont je ne crus pas sage de lui ouvrir le propos ; plus que cela encore, il espéra que je ne serois pas plus difficile ni moins heureux auprès du duc de Beauvilliers que je l’avois été pour lui auprès de M. [le duc]