Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/77

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et ne remplir point la charge de chancelier. Le Tellier, secrétaire d’État de la guerre dès 1643 et devenu bientôt après ministre d’État fort puissant, avoit porté de tout son crédit son cousin Aligre aux emplois par où il avoit passé, quoique ce fût un homme sans aucune sorte de mérite ni de lumière, et ce qu’on appelle vulgairement un très-pauvre homme. Le Tellier eut grande envie de succéder à Séguier. Louvois, son trop célèbre fils, étoit secrétaire d’État en survivance ; il étoit lors âgé de trente-deux ans ; il étoit de son chef ministre d’État comme son père, et avoit eu la charge de chancelier de l’ordre à la mort de M. de Péréfixe, archevêque de Paris. Il avoit eu grande part sous son père à la guerre de 1667 et aux conquêtes que le roi avoit faites ; il en eut une plus entière dans les suivantes ; et lors de cette vacance de l’office de chancelier, lui et son père digéroient et préparoient tout pour cette fameuse guerre qui fut déclarée en avril 1672, et qui fut suivie de tant de rapides conquêtes en Hollande.

Cette position parut favorable au père et au fils qui étoient d’un grand secours l’un à l’autre. Néanmoins, soit que le roi ne voulût pas se priver du père dans les importantes fonctions de sa charge à l’ouverture d’une si grande guerre, ou que, accoutumé à des chanceliers octogénaires, il trouvât Le Tellier trop jeune, qui n’avoit pas encore soixante et dix ans, ils ne purent l’emporter. Pressés en même temps par le départ du roi qui s’alloit mettre à la tête de ses armées, et qui, pendant qu’il les commanderoit, ne pouvoit continuer à tenir les sceaux, ils firent en sorte que le roi, deux jours avant son départ, donnât les sceaux à Aligre sans faire de chancelier, comme étant le plus ancien des conseillers