Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/91

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dire et tout faire avec eux. J’ai décrit ailleurs la position ordinaire où le roi et Mme de Maintenon étoient chez elle. Un soir qu’il y avoit comédie à Versailles, la princesse, après avoir bien parlé toutes sortes de langages, vit entrer Nanon, cette ancienne femme de chambre de Mme de Maintenon, dont j’ai fait mention plus d’une fois, et aussitôt s’alla mettre, tout en grand habit comme elle étoit et parée, le dos à la cheminée, debout, appuyée sur le petit paravent entre les deux tables. Nanon, qui avoit une main comme dans sa poche, passa derrière elle, et se mit comme à genoux. Le roi, qui en étoit le plus proche, s’en aperçut et leur demanda ce qu’elles faisoient là. La princesse se mit à rire, et répondit qu’elle faisoit ce qu’il lui arrivoit souvent de faire les jours de comédie. Le roi insista. « Voulez-vous le savoir, reprit-elle, puisque vous ne l’avez pas encore remarqué ? C’est que je prends un lavement d’eau. — Comment, s’écria le roi mourant de rire, actuellement là vous prenez un lavement ? — Hé vraiment oui, dit-elle. — Et comment faites-vous cela ? » Et les voilà tous quatre à rire de tout leur cœur. Nanon apportoit la seringue toute prête sous ses jupes, troussoit celles de la princesse qui les tenoit comme se chauffant, et Nanon lui glissoit le clystère. Les jupes retomboient, et Nanon remportoit sa seringue sous les siennes ; il n’y paraissoit pas. Ils n’y avoient pas pris garde, ou avoient cru que Nanon rajustoit quelque chose à l’habillement. La surprise fut extrême, et tous deux trouvèrent cela fort plaisant. Le rare est qu’elle alloit avec ce lavement à la comédie sans être pressée de le rendre, quelquefois même elle ne le rendoit qu’après le souper du roi et le cabinet ; elle disoit que cela la rafraîchissoit, et empêchoit que la touffeur [1] du lieu de la comédie ne lui fît mal à la tête. Depuis la découverte elle ne s’en contraignit pas plus qu’auparavant. Elle les connoissoit en perfection, et ne laissoit

  1. La chaleur.