Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/222

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duc d’Orléans, sans ménagement, et sans égard aucun sur l’avenir, si je l’avois soupçonné le moins du monde : cela même étoit universellement avoué, et je le voyois trop journellement, trop intimement pour, à la fin, n’avoir rien soupçonné pour peu qu’il y eût à le faire. Voilà ce qui m’avoit tant détaché d’avis et de menaces de toutes parts pour m’obliger à changer de conduite avec ce prince, dont l’inutilité retomboit en rage sur moi de la part de Mme de Maintenon et de M. du Maine qui, outre ce principal objet que je remets ici devant les yeux quoique je l’aie touché ailleurs, s’y proposoient encore de priver M. le duc d’Orléans du seul homme qui le vît et avec qui il pût raisonner et consulter.

Les croupiers de ces deux personnes si prodigieusement principales ne leur manquoient pas en ce genre. À eux se jaignoient d’ailleurs un groupe toujours nombreux d’envieux et de jaloux, qui étoient bien persuadés que, dès que M. le duc d’Orléans seroit régent, je ferois auprès de lui la première figure en confiance et en crédit, et qui s’en désespéroient d’avance. Cela même étoit encore une des frayeurs de M. du Maine et de Mme de Maintenon.

La réputation d’esprit qu’on m’avoit donnée pour me perdre auprès du roi, lorsqu’il me choisit, en 1706, pour l’ambassade de Rome, et qui réussit si fort au gré des honnêtes gens qui l’imaginèrent, comme on l’a vu alors, étoit demeurée dans la tête de M. du Maine, de Mme de Maintenon, du roi même ; le gros du monde, qui y avoit donné, avoit eu plus tôt fait de le croire que d’y aller voir, et c’est ainsi que s’établissent et que durent mille fausses idées qu’on se forme tous les jours. J’avois soutenu beaucoup d’aventures, d’affaires de rang, et d’autre nature avec des princes du sang et des plus grands et accrédités de la cour, des orages même, toutes choses que pour la plupart on a vues ici en leurs places. Je ne m’étois effrayé d’aucunes, j’étois toujours bien sorti de toutes. Ce tout, joint ensemble