Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/255

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de ce que ce pouvoit être, et ayant la tête libre, et ne sentant d’engagement nulle part, il vouloit se tâter, s’écouter, et se sentir avant de se déterminer à la saignée, parce qu’il y a des poisons où elle est mortelle sans retour.

Dès que le roi fut rentré chez lui, il envoya Maréchal savoir de ses nouvelles, et lui dire que, comme il savoit par Fagon que ce ne seroit rien, et qu’il avoit peine à monter, il ne viendroit point le voir. J’y demeurai toujours jusqu’à plus de minuit presque toujours seul. Il y vint très peu de monde, la plupart ensemble par pelotons qui ne firent qu’entrer et sortir. Mme la duchesse de Berry et Madame étoient allées à Versailles voir Mme la duchesse d’Orléans, à qui j’écrivis deux fois dans la soirée. La saignée se fit tard. Maréchal y vint quatre ou cinq fois jusqu’au coucher du roi, qui me conta deux jours après qu’à chaque fois le roi lui demandoit qui il avoit trouvé avec M. le duc d’Orléans, qu’il me nommoit toujours, et qu’une des dernières que cela arriva, le roi, qui n’avoit rien répondu aux précédentes, lui dit : « Il est fort des amis de mon neveu, M. de Saint-Simon ; je voudrois bien qu’il n’en eût jamais eu d’autres, car il est fort honnête homme, et ne lui donne que de bons conseils. Je ne suis point en peine de ceux-là, je voudrois qu’il n’en suivît pas d’autres. »

Ce récit ne laissa pas de me soulager. J’avouerai sans orgueil, mais avec droiture, que je ne pouvois pas être en peine de ma réputation ; mais M. le duc d’Orléans étoit si cruellement persécuté auprès du roi par ce qu’il avoit de plus intime ; on m’avoit tant fait pleuvoir d’avis et de menaces sur mon commerce étroit avec lui, que, sans craindre sur ma réputation du coté du roi non plus que d’aucun autre, j’avois tout lieu de juger que cette liaison si intime lui déplaisoit et lui étoit fort désagréable, et je me sentis fort à mon aise de ne pouvoir douter que cela n’étoit pas. Cette réponse du roi à Maréchal me mit au net avec une nouvelle et très claire évidence d’où me venoit tant d’avis redoublés