Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/420

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à céder, quoiqu’ils vissent assez qu’il n’y avoit rien à en attendre qu’un prétexte de faire casser la corde sur eux. Ce fut donc à qui n’irait point.

M. d’Aumont, qui tôt après ne se cacha plus guère d’avoir été un pigeon privé, profita du refus de chacun pour se proposer. On se regarda ; il n’étoit pas encore assez à découvert pour lui faire un affront public ; et c’en eût été un de le refuser ; ainsi, tout se faisant par force dans l’embarquement et dans toute la suite de cette affaire, ce fut force d’y consentir ; mais comme on étoit aussi bien éloigné de se fier en lui, on proposa tout de suite qu’il en falloit mettre un autre avec lui. Le duc d’Aumont demanda pourquoi, et se mit à pérorer pour y aller tout seul. S’il n’avoit pas été plus que suspect déjà, cette offre si aisée d’aller, cet empressement d’y aller seul auroient dû ouvrir les yeux. L’embarras fut du compagnon. La commission de soi n’étoit rien moins qu’agréable ; l’union de M. d’Aumont la rendoit encore plus dégoûtante. Heureusement M. de La Force, dont j’aurai lieu de parler ailleurs, se proposa, et il fut accepté avec joie. Il avoit beaucoup d’esprit ; il étoit fort instruit ; il étoit fort duc et pair, et très incapable de gauchir. Il étoit depuis longtemps beaucoup de la société de Mme la duchesse du Maine, enfin il étoit l’ancien du duc d’Aumont ; il avoit fort la parole en main, et entre eux deux c’étoit sur lui qu’elle devoit naturellement rouler. Il n’avoit pas été des derniers à voir clair sur la conduite du duc d’Aumont, et il fut de plus bien averti de s’en défier continuellement à Sceaux, et de l’y regarder et se conduire comme avec le croupier de Mme du Maine. Parmi tant de choses sinistres dans cette affaire, ce fut un bonheur que tout fût bon au duc de La Force pourvu qu’il se mêlât de quelque chose, et que ce goût lui eût donné envie de doubler le duc d’Aumont.

Les voilà donc tous deux à Sceaux à jour marqué, qui suivit de fort près le consentement arraché d’y aller. Mme la duchesse du Maine les y reçut avec des politesses et des