Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/456

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logeoit à Paris dans son beau prieuré de Saint-Martin des Champs, où tous les matins, les vingt dernières années de sa vie, il buvoit, depuis cinq heures du matin jusqu’à midi, vingt et quelquefois vingt-deux pintes d’eau de la Seine, sans se pouvoir passer à moins, outre ce qu’il en avaloit encore à son dîner. Il n’étoit pas fort vieux, et ne laissoit pas d’avoir de l’esprit et des lettres.

On a vu en son lieu, en parlant du vieux duc de Gesvres, et de tout ce qu’il fit auprès du roi contre son fils revenant de Rome, pour l’empêcher d’être archevêque de Bourges, quel étoit ce prélat, et combien il étoit en faveur auprès d’Innocent XI, dont il étoit camérier d’honneur, et en espérance de la pourpre romaine, lorsque l’éclat arrivé entre le roi et le pape, pour la franchise du quartier des ambassadeurs, fit en 1688 rappeler tous les François de Rome ; et que l’archevêché de Bourges lui fut donné en récompense des espérances qu’il perdoit, contre l’usage constamment observé jusqu’alors de ne donner les archevêchés qu’à des évêques. Cet abbé, devenu ainsi archevêque de plein saut, ne perdit jamais de vue le chapeau qu’il avoit tant espéré. Il avoit conservé à Rome des amis et un commerce secret. Il avoit réussi à s’acquérir l’amitié de Croissy, et de Torcy, secrétaire d’État des affaires étrangères. Il avoit accoutumé le roi à trouver bon qu’il fît de son mieux pour devenir cardinal. La nomination du roi Jacques qu’il avoit eue d’abord n’ayant pas réussi, il trouva moyen de se faire donner celle de Pologne par le roi Stanislas, dans le court intervalle de son règne ; et il fut encore assez habile pour obtenir la même grâce de l’électeur de Saxe, après qu’il fut remonté sur ce trône. Ce chapeau faisoit toute l’occupation et la vie de l’archevêque de Bourges. On verra qu’il attendit encore des années qui lui parurent bien longues, et pendant lesquelles il travailla sans cesse à son objet, auquel à la fin il arriva.

Le roi, contre sa coutume de ne donner les bénéfices que