Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/466

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l’enregistrement des édits. Il arriva cependant que plusieurs avocats généraux, parmi lesquels on remarque Omer Talon et Jérôme Bignon, profitèrent de ces circonstances solennelles pour adresser au souverain de sages remontrances.

Après le discours de l’avocat général, le chancelier recueilloit les voix, mais seulement pour la forme. Il montoit pour la troisième fois au lit de justice du roi et lui demandoit son avis ; il s’adressoit ensuite aux princes, pairs laïques et ecclésiastiques, maréchaux de France, présidents du parlement, conseillers d’État, maîtres des requêtes, conseillers au parlement, qui tous opinoient à voix basse et pour la forme. Ce simulacre de vote terminé, le chancelier alloit pour la quatrième fois demander les ordres du roi, et, de retour à sa place, il prononçoit la formule d’enregistrement ainsi conçue : Le roi, séant en son lit de justice, a ordonné et ordonne que les présents édits seront enregistrés, publiés et adressés à tous les parlements et juges du royaume. La formule, dictée au greffier par le chancelier, au nom du roi, se terminoit ainsi : Fait en parlement, le roi y séant en son lit de justice. Le roi sortoit ensuite du parlement entouré de la même pompe et du même cortège qu’à son entrée.

Les lits de justice étoient considérés ordinairement comme des coups d’État. Le parlement se réunissoit quelquefois le lendemain du lit de justice pour protester contre un enregistrement forcé, et de là naissoient des conflits et des troubles. Telle fut, en 1648, l’occasion de la Fronde.

La présence du roi au parlement ne suffisoit pas pour qu’il y eût lit de Justice. Le Journal d’Olivier d’Ormesson en fournit la preuve : à la date du 2 décembre 1665, il mentionne la présence du roi au parlement, sans que cette séance royale fût un véritable lit de justice. « Le roi, dit-il, entra sans tambours, trompettes ni aucun bruit, à la différence des lits de justice. » Il signale, à l’occasion du même événement, une autre différence qui concerne le chancelier : « M. le chancelier, dit-il, y vint, et l’on députa deux conseillers de la grand’chambre à l’ordinaire pour le recevoir, sans qu’il eût des masses devant lui, comme aux lits de justice. » André d’Ormesson retrace dans ses Mémoires inédits une de ces séances royales qui n’étoient pas lits de justice. Il s’agissoit du procès criminel intenté au prince de Condé. L’auteur, qui étoit conseiller d’État, entre dans tous les détails de la cérémonie, dont il fut témoin oculaire :

« Cette journée (19 janvier 1654), je me trouvai chez M. le chancelier [1], sur les huit heures, en ayant été averti la veille par M. Sainctot, maître des cérémonies. M. le chancelier me fit mettre au fond, à côté de lui, pour donner place aux autres dans son carrosse.

  1. Le chancelier était alors Pierre Séguier.