Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/191

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place, le maréchal de Villeroy, à qui je ne parlois point, et que je saluois fort médiocrement depuis l’affaire du duc d’Estrées et du comte d’Harcourt dont j’ai parlé en son temps, vint à moi me dire qu’étant ministre d’État sous le feu roi, et moi ne faisant qu’entrer ce jour-là dans le conseil, il pourroit être fondé à me disputer la préséance, mais qu’il ne vouloit point former de difficulté. Je lui répondis crûment et nettement que je le précéderois au conseil, comme je le précédois partout ailleurs ; puis, me radoucissant, j’ajoutai qu’il savoit trop ce qu’il se devoit à lui-même et à sa dignité permanente pour en faire la moindre difficulté. Que c’étoit aussi par cette même raison que je conservois ce qui m’étoit dû, honteux d’ailleurs de précéder un homme de son âge et de son mérite. Cela fut bien reçu, et les compliments finirent par nous mettre en place.

Pendant le conseil, je songeai que [vu] la considération où les emplois du maréchal de Villeroy le mettoient, je pouvois, après ce qui venoit de se passer entre nous, finir galamment une vieille brouillerie qui n’avoit rien de personnel, et où ses prétentions avoient eu pleinement le dessous, qu’il se présenteroit des affaires que nous aurions à traiter ensemble, outre la fréquence des conseils de régence où nous nous trouverions tous deux ; et que ce seroit même ôter à M. le duc d’Orléans une brassière qui, fait comme il étoit, l’importuneroit. Je m’amusai donc assez exprès après le conseil des finances pour laisser retourner le maréchal de Villeroy dans sa chambre, car il logeoit à Vincennes depuis que le roi y étoit, et j’allai lui faire une visite. Cet homme, également fastueux et bas, fut bien surpris de me voir entrer dans sa chambre. Il se peignit sur son visage une joie singulière. Les compliments de part et d’autre furent merveilleux, et nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde. Le lendemain au conseil il m’en fit encore quantité, et il chercha depuis à me parler d’affaires, et même fort librement, et à avoir liaison avec moi. Je dis à M. le duc