Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

infortunées victimes de l’erreur, pendant que tant d’autres sacrifioient leur conscience à leurs biens et à leur repos, et achetoient l’un et l’autre par des abjurations simulées d’où sans intervalle on les traînoit à adorer ce qu’ils ne croyoient point, et à recevoir réellement le divin corps du Saint des saints, tandis qu’ils demeuroient persuadés qu’ils ne mangeoient que du pain qu’ils devoient encore abhorrer. Telle fut l’abomination générale enfantée par la flatterie et par la cruauté. De la torture à l’abjuration, et de celle-ci à la communion, il n’y avoit pas souvent vingt-quatre heures de distance, et leurs bourreaux étoient leurs conducteurs et leurs témoins. Ceux qui, par la suite, eurent l’air d’être changés avec plus de loisir, ne tardèrent pas, par leur fuite ou par leur conduite, à démentir leur prétendu retour.

Presque tous les évêques se prêtèrent à cette pratique subite et impie. Beaucoup y forcèrent ; la plupart animèrent les bourreaux, forcèrent les conversions, et ces étranges convertis à la participation des divins mystères, pour grossir le nombre de leurs conquêtes, dont ils envoyoient les états à la cour pour en être d’autant plus considérés et approchés des récompenses.

Les intendants des provinces se distinguèrent à l’envi à les seconder, eux et les dragons, et à se faire valoir aussi à la cour par leurs listes. Le très peu de gouverneurs et de lieutenants généraux de province qui s’y trouvoient, et le petit nombre de seigneurs résidant chez eux, et qui purent trouver moyen de se faire valoir à travers les évêques et les intendants, n’y manquèrent pas.

Le roi recevoit de tous les côtés des nouvelles et des détails de ces persécutions et de toutes ces conversions. C’étoit par milliers qu’on comptoit ceux qui avoient abjuré et communié : deux mille dans un lieu, six mille dans un autre, tout à la fois, et dans un instant. Le roi s’applaudissoit de sa puissance et de sa piété. Il se croyoit au temps de la prédication des apôtres, et il s’en attribuoit tout l’honneur.