Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/285

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parfaite, et toutes deux jouissant de la paix avec toute l’Europe par les traités d’Utrecht et de Bade. M. le duc d’Orléans vouloit absolument conserver un bien si nécessaire

D’autres circonstances l’éloignoient encore de se prêter au projet du feu roi en faveur du Prétendant. Le comte Stairs étoit en France de la part du roi Georges plus d’un an avant la mort du roi, sans avoir encore pris le caractère d’ambassadeur qu’il avoit dans sa poche. C’étoit un très simple gentilhomme écossois, grand, bien fait, maigre, encore assez jeune, avec la tête haute et l’air fier. Il étoit vif, entreprenant, hardi, audacieux par tempérament et par principe. Il avoit de l’esprit, de l’adresse, du tour ; avec cela actif, instruit, secret, maître de soi et de son visage, parlant aisément tous les langages, suivant qu’il les croyoit convenir. Sous prétexte d’aimer la société, la bonne chère, la débauche qu’il ne poussoit pourtant jamais, attentif à se faire des connoissances et à se procurer des liaisons dont il pût faire usage à bien servir son maître, et son parti à lui-même. C’étoit celui des whigs et de tous ceux que le roi Georges avoit remis en place, et la famille et les amis du duc de Marlborough dont il étoit créature, à qui il avoit de tout temps été attaché, sous qui il avoit servi, qui l’y avoit avancé et procuré un régiment et l’ordre d’Écosse. Il étoit pauvre, dépensier, fort ardent et fort ambitieux, et il vouloit servir de façon, dans son ambassade, qu’avec les appuis qui le protégeoient, il pût faire une grande fortune en Angleterre où son parti, auquel il étoit dévoué, et ses patrons dominoient, et à qui il plaisoit d’autant plus qu’il haïssait la France autant qu’eux. On a vu que le feu roi fut promptement et toujours après très mécontent de sa conduite ; Torcy encore plus, jusque-là qu’il refusa et cessa de le voir et de plus traiter avec lui.

Stairs vit de loin la décadence menaçante de la santé du roi. Il comprit en même temps qu’il n’avoit rien à espérer de l’autorité du duc du Maine, qui, si elle prévaloit, ne