Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/356

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faisoit le jaloux. Jusqu’à sa parure, elle n’avoit pas la moindre liberté. Il se divertissoit à la faire décoiffer ou lui faire changer d’habits quand elle étoit toute prête, e cela si souvent, et quelquefois si publiquement qu’il l’avoit accoutumée à prendre le soir ses ordres pour la parure et l’occupation du lendemain, et le lendemain il changeoit tout, et la princesse pleuroit tant et plus. Enfin elle en étoit venue à lui envoyer des messages par des valets affidés ; car il logea presque en arrivant au Luxembourg ; et ses messages se réitéroient plusieurs fois pendant sa toilette, pour savoir quels rubans elle mettroit ; ainsi de l’habit et des autres parures, et presque toujours il lui faisoit porter ce qu’elle ne vouloit point. Si quelquefois elle osoit se licencier à la moindre chose sans son congé, il la traitoit comme une servant, et les pleurs duroient quelquefois plusieurs jours. Cette princesse si superbe, et qui se plaisoit tant à montrer et à exercer le plus démesuré orgueil, s’avilit à faire des repas avec lui et des gens obscurs, elle avec qui nul homme ne pouvoit manger s’il n’étoit prince du sang.

Un jésuite, qui s’appeloit le P. Riglet, qu’elle avoit connu enfant, et qui l’avoit toujours cultivée depuis, étoit admis dans ces repas particuliers sans qu’il en eût honte, ni que Mme la duchesse de Berry en fût embarrassée. Mme de Mouchy, dont j’ai parlé ailleurs, étoit la confidente de tous ces étranges particuliers ; elle et Rion mandoient les convives, et choisissoient les jours. La Mouchy raccommodoit souvent sa princesse avec son amant, qui en étoit mieux traitée qu’elle, sans qu’elle osât s’en apercevoir, de crainte d’un éclat qui lui auroit fait perdre un amant si cher, et une confidente si nécessaire. Cette vie étoit publique : tout à Luxembourg s’adressoit à M. de Rion, qui de sa part avoit grand soin d’y bien vivre avec tout le monde, même avec un air de respect qu’il refusoit, même en public, à sa seule princesse. Il lui faisoit devant le monde des réponses brusques qui faisoient baisser les yeux aux spectateurs, et rougir