Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

main après être demeuré persuadé de ce que je lui disois, et sa faiblesse l’entraînoit.

Ce qui est fort extraordinaire, c’est que ni ses maîtresses, ni Mme la duchesse de Berry, ni ses roués, au milieu même de l’ivresse, n’ont jamais pu rien savoir de lui de tant soit peu important, sur quoi que ce soit du gouvernement et des affaires. Il vivoit publiquement avec Mme de Parabère ; il y vivoit en même temps avec d’autres ; il se divertissoit de la jalousie et du dépit de ces femmes ; il n’en étoit pas moins bien avec toutes, et le scandale de ce sérail public, et celui des ordures et des impiétés journalières de ses soupers étoit extrême, et répandu partout.

Le carême étoit commencé, et je voyois un affreux scandale ou un horrible sacrilège pour Pâques, qui ne feroit même qu’augmenter ce terrible scandale. C’est ce qui me résolut d’en parler à M. le duc d’Orléans, quoique depuis longtemps je gardasse le silence sur ses débauches par avoir perdu toute espérance là-dessus. Je lui représentai donc que le détroit où il alloit tomber à Pâques me paraissoit si terrible du côté de Dieu, si fâcheux de celui du monde qui veut bien mal faire, mais qui le trouve mauvais d’autrui et surtout de ses maîtres, que, contre ma coutume et ma résolution, je ne pouvois m’abstenir de lui en représenter toutes les conséquences, sur lesquelles je m’étendis à l’égard du monde ; car de celui de la religion, malheureusement il n’en étoit pas là. Il m’écouta fort patiemment ; puis me demanda avec inquiétude ce que je lui voulois proposer. Alors je lui dis que c’étoit un expédient, non pour ôter tout scandale, mais pour le diminuer et empêcher les excès des propos, et même des sentiments auxquels il devoit s’attendre, s’il ne le prenoit pas, et qui étoit très aisé. C’étoit d’aller passer chez lui à Villers-Cotterets les cinq derniers jours de la semaine sainte, e le dimanche et le lundi de Pâques, c’est-à-dire partir le mardi saint, et revenir la troisième fête de Pâques ; n’y mener ni dames ni roués, mais six ou sept personnes à