Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/43

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manquer, ou tourner d’une autre façon, ce qui étoit beaucoup moins ordinaire que ce qui regardoit les emplois et les grâces, c’étoit la même intelligence entre elle et le ministre, et le même manège à peu près. Par ce détail, on voit que cette femme habile faisoit presque tout ce qu’elle vouloit, mais non pas tout, ni quand et comme elle vouloit.

Il y avoit une autre ruse si le roi s’opiniâtroit : c’étoit alors d’éviter la décision en brouillant et allongeant la matière, en en substituant une autre comme venant à propos de celle-là, et qui la détournât, ou en proposant quelque éclaircissement à prendre. On laissoit ainsi émousser les premières idées, et on revenoit une autre fois à la charge avec la même adresse, qui très souvent réussissoit. C’étoit encore presque la même chose pour charger ou diminuer les fautes, faire valoir les lettres et les services, ou y glisser légèrement, et préparer ainsi la perte ou la fortune.

C’est là ce qui rendoit ce travail chez Mme de Maintenon si important pour les particuliers, et c’est ce qui rendoit les ministres si nécessaires à Mme de Maintenon à avoir dans sa dépendance. C’est aussi ce qui les aida puissamment à s’élever à tout, et à augmenter sans cesse leur crédit et leur pouvoir, et pour eux et pour les leurs, parce que Mme de Maintenon leur faisoit litière de toutes ces choses pour se les attacher entièrement.

Quand ils étoient près de venir travailler, ou qu’ils sortoient de chez elle, elle prenoit son temps de sonder le roi sur eux, de les excuser ou de les vanter, de les plaindre de leur grand travail, d’en exalter le mérite, et s’il s’agissoit de quelque chose pour eux, d’en préparer les voies, quelquefois d’en rompre la glace, sous prétexte de leur modestie et du service du roi qui demandoit qu’ils fussent excités à le soulager et à faire de bien en mieux. Ainsi c’étoit entre eux un cercle de besoins et de services réciproques, dont le roi ne se doutoit pas le moins du monde. Aussi les ménagements entre eux étoient-ils infinis et continuels.