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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/12

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de mettre dans la bouche des personnes sensées ce qu’il n’osoit dire comme son, propre sentiment, encore usa-t-il de la précaution de rapporter ces réflexions comme un effet de la terreur qui s’étoit emparée de tous les esprits, ou d’une prostitution générale. C’étoit sous ces couleurs qu’il rapportoit les différents jugements qu’on faisoit du parti que prendroit le roi d’Espagne.

Cellamare inclinant à la paix, parce qu’il en voyoit la nécessité, disoit que l’opinion commune étoit que Sa Majesté Catholique en accepteroit les conditions conditionnellement, c’est-à-dire qu’elle les soumettroit à la discussion des ministres assemblés, et que cependant il n’y auroit rien de conclu ni d’exécuté jusqu’à ce que toutes les parties intéressées eussent été entendues. Son idée étoit de profiter du bénéfice du temps propre à guérir les maladies les plus dangereuses, et pour appuyer ce sentiment il citoit l’autorité du comte de Peterborough, qui lui avoit dit que l’empereur étoit très éloigné de renoncer à ses droits imaginaires ; que ce prince ne consentoit au projet que parce qu’il étoit bien persuadé qu’il n’auroit pas lieu, que le roi d’Espagne le rejetteroit, et que l’empereur par sa docilité apparente se concilieroit l’amitié des médiateurs. Ainsi l’ambassadeur d’Espagne conseilloit à son maître de combattre ses ennemis par les mêmes armes qu’ils prétendoient employer pour l’attaquer, et de contre-miner leur artifice en affectant de faire paroître encore plus de penchant pour la paix et plus de douceur qu’ils n’en témoignoient pour s’accorder sur les conditions. Son but étoit de procurer une assemblée où les ministres de toutes les parties intéressées conviendroient des conditions d’une paix générale. C’étoit dans cette conjoncture que Cellamare jugeoit que le roi d’Espagne parviendroit à rompre le dangereux fil de cette trame mal ourdie, qui réunissoit tant de puissances contre Sa Majesté Catholique. Jusqu’alors elle n’avoit, selon lui, d’autre parti à prendre que de prolonger la négociation, et pour y réussir,