Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/149

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attention de la part de Sa Sainteté (qui l’avoit fait cardinal). Le pauvre nonce étoit à plaindre, mais ces termes de compassion furent les seules marques qu’il reçut de la reconnoissance d’Albéroni. La principale affaire de ce premier ministre étoit non seulement de se venger des refus qu’il essuyoit de la part du pape, mais encore de faire voir à Sa Sainteté qu’elle s’étoit absolument trompée en appuyant ses espérances à la cour d’Espagne sur la correspondance et sur le crédit d’Aubenton : car il étoit essentiel au cardinal d’établir à Rome qu’il n’y avoit à Madrid qu’une unique source pour les affaires, et que toutes les cours de l’Europe étoient instruites de cette vérité par la pratique et par les négociations conduites à leur fin sans qu’il en eût été parlé à âme vivante, hors à une seule.

Les dispositions du premier ministre ne laissoient pas espérer au nonce beaucoup de succès des raisons que le pape lui avoit ordonné d’employer pour autoriser le refus des bulles de Séville. En effet, Albéroni reçut si mal ces représentations, et la conférence entre eux fut si vive, que depuis, Aldovrandi, homme sage, ne jugea pas à propos de retourner à la cour. Il falloit cependant savoir quelle résolution le roi d’Espagne prendroit après avoir su celle du pape. Le nonce écrivit au cardinal, mais inutilement ; la lettre demeura sans réponse. Ce silence fut un pronostic de ce qui devoit bientôt arriver. Le nonce, s’y préparant, avertit le pape que, s’il étoit chassé de Madrid, il irait directement à Rome, suivant les ordres de Sa Sainteté ; qu’il croyoit cependant convenable à son service de laisser une personne de confiance à portée d’entendre les propositions que la cour d’Espagne pourroit faire, et capable d’entrer dans les expédients propres à réunir les deux cours, car il regardoit les conséquences d’une rupture comme plus fatales à la religion qu’on ne le pensoit peut-être à Rome, et sur ce fondement il étoit persuadé que rien ne seroit plus dangereux que de fermer toute voie à la conciliation. Il s’étoit plaint déjà plusieurs fois du peu d’égards que