Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/373

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et, en un mot, comme que ce soit l’éducation vendredi, monsieur ! Alors je suis un à jamais avec M. le duc d’Orléans, et nous verrons, tous les princes du sang unis, ce que pourront les bâtards ; autrement mon ressentiment sera plus fort que moi ; il ne sortira jamais de mon cœur, et je me sens dès à présent en ce cas incapable de marcher d’où je suis jusqu’à vous, et si il n’y a pas loin, pour son service. Je sais toute la différence qu’il y a de lui à moi, mais au bout c’est à lui à savoir s’il me veut ou s’il ne se soucie pas de me perdre. Je n’en sais pas davantage. Il est régent, il doit être le maître pour des choses qui, tout à la fois, sont justes et raisonnables et de son intérêt personnel. C’est donc à lui à les vouloir et à les savoir faire, sinon ce n’est pas la peine d’être à lui. » C’étoit là trancher toutes difficultés et non pas les lever.

J’allois répondre lorsque après un moment de silence : « Monsieur, reprit-il d’un air doux, modéré et flatteur, je vous demande pardon de vous parler si ferme et je sens très bien que je pourrois fort bien passer dans votre esprit pour une tête de fer et bien opiniâtre. Je serois bien fâché que vous eussiez si méchante opinion de moi, mais je vous prie de vous mettre en ma place, de peser l’état où je me trouve, tous les manquements de parole que j’ai essuyés là-dessus qui me jettent où nous voici. Je compte sur votre amitié ; me conseilleriez-vous de me perdre, et voyez-vous ceci passé un bout et une fin à l’établissement de M. du Maine auprès du roi ? Voilà ce qui me rend si ferme ; et si vous voulez bien peser ce qui peut vous paroître opiniâtreté vous trouverez que c’est nécessité. »

Ce propos m’embarrassa extrêmement, non par sa politesse que j’aurois payée de respects, mais par une solidité trop effective et d’autant plus fâcheuse, qu’elle nous mettoit entre deux écueils. Son aliénation capable de tout en France et en Espagne d’une part, et d’autre part la difficulté de réussir et les troubles qui en pouvoient naître : détestable fruit de cette débonnaireté insensible qui, contre le souvenir