Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/379

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ne sachent point par moi que c’est de votre main qu’ils tiendront ou leur honneur rendu ou leur ignominie. Et moi, monsieur, qui ai l’honneur de vous parler, permettez-moi de me servir de vos propres paroles sur M. le duc d’Orléans, quoiqu’il y ait bien plus loin de nous à vous que de vous à lui. Si vous nous abandonnez, je sens en moi un ressentiment contre vous dont je ne serai point maître, qui durera autant que moi et que ma dignité, qui se perpétuera dans tous ceux qui en sont revêtus, qui nous éloignera de vous pour jamais, et qui, se ployant au seul respect extérieur qui ne vous peut être refusé, me détournera le premier, et tous les autres avec moi, des plus petites choses de votre service. Que si, au contraire, vous nous remettez en honneur et les bâtards en règle, moi plus que tous, et tous avec moi, sommes à vous, monsieur, pour jamais et sans mesure, parce que je vous crois très incapable de rien vouloir faire contre l’État, le roi et le régent, et je vous mène dans l’hôtel de Condé tous les pairs de France vous vouer leur service, et des leurs, et toute leur puissance dans leurs charges et leurs gouvernements. Pesez, monsieur, pesez l’un avec l’autre, pesez bien ce qu’il vous en coûtera, comptez bien sur la solidité de tout ce que je vous dis en l’un comme dans l’autre cas, et puis choisissez. » Je me tus tout court après cette option si vivement offerte, bien fâché que l’obscurité empêchât M. le Duc de bien distinguer le feu de mes yeux, et moi-même de perdre par la même raison toute la finesse de la connoissance que j’aurois pu tirer de son visage et de son maintien dans sa réponse.

Il me dit tout aussitôt, et voici les propres paroles : « Monsieur, j’ai toujours honoré votre dignité et la plupart de ceux qui en sont revêtus. Je sens très bien quelle est pour moi la différence de les avoir pour amis ou pour indifférents, encore pis pour ennemis. Je vous l’ai déjà avoué, j’ai fait une faute à votre égard, messieurs, et j’ai envie de la réparer ; je sens encore qu’il est juste qu’il n’y ait rien entre nous et vous. Mais M. le duc d’Orléans vous parle-t-il bien sincèrement