Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/424

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seul vers la table du conseil, très attentif à tout, et les autres, épars, commencèrent à le devenir davantage. Un peu après le duc du Maine vint se remettre d’où il étoit parti, les deux étant restés assis où ils étoient. M. du Maine alors se retrouva vis-à-vis de moi, la table entre deux. J’observai qu’il avoit l’air égaré, et qu’il parloit tout seul plus que devant.

Le comte de Toulouse arriva en manteau, comme le régent venoit de quitter les deux avec qui il était. Le comte de Toulouse étoit en manteau, et salua la compagnie d’un air grave et concentré, n’abordant ni abordé de personne. M. le duc d’Orléans se trouva vis-à-vis de lui et se tourna vers moi, quoiqu’à quelque distance, comme me le montrant et m’en témoignant sa peine. Je baissai un peu la tête en le regardant fixement, comme pour lui dire : « Eh bien, quoi ? » M. le duc d’Orléans s’avança au comte de Toulouse, et lui dit tout haut, devant tout ce qui étoit là proche, qu’il étoit surpris de le voir en manteau ; qu’il n’avoit pas voulu le faire avertir du lit de justice, parce qu’il savoit que, depuis leur dernier arrêt, il n’aimoit pas aller au parlement. Le comte de Toulouse répondit qu’il étoit vrai ; mais que, quand il s’agissoit du bien de l’État, il mettoit toute autre considération à part. M. le duc d’Orléans se tourna sur-le-champ sans rien répliquer, vint à moi, et me dit tout bas en me poussant plus loin : « Voilà un homme qui me perce le cœur. Savez-vous bien ce qu’il vient de me dire ? » et me le répéta. Je louai le procédé de l’un, le sentiment de l’autre ; lui remontrai que le rétablissement du comte de Toulouse étant résolu, et pour la même séance, son état ne devoit pas lui faire de peine, et je me mis doucement à le réconforter. Il m’interrompit pour me dire l’envie qu’il avoit de lui parler. Je lui représentai que cela étoit bien délicat, et qu’au moins avant de s’y résoudre, falloit-il attendre à toute extrémité. Je me tournai aussitôt pour le ramener vers le gros du monde, pour abréger ce particulier que je craignis qui ne fût trop remarqué.