Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/65

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sur le projet de traité en général, avoit seulement en vue d’obtenir quelque avantage particulier, car Albéroni dit clairement au colonel Stanhope que ce prince accepteroit le projet s’il obtenoit de conserver la Sardaigne. Le colonel ayant fait savoir en Angleterre la proposition qui lui avoit été faite, les ministres anglois assurèrent Monteléon que leur maître étoit très affligé de ne pouvoir acquiescer à une demande si raisonnable. Ils se plaignirent du silence que le roi d’Espagne avoit gardé jusqu’alors sur cette prétention, et feignirent d’en être d’autant plus touchés que, selon eux, il y auroit eu moyen de satisfaire Sa Majesté Catholique si elle eût déclaré plus tôt ses prétentions ; que l’argent auroit été bien employé pour y parvenir, et que l’Angleterre auroit volontiers concouru avec la France pour assembler fine somme telle qu’on eût obtenu ce que désiroit le roi d’Espagne ; mais malheureusement cette conjoncture favorable étoit, disoient-ils, passée, parce que l’engagement étoit pris avec l’empereur, qu’il étoit impossible d’y rien changer, que ce prince se trouvoit dans une telle situation qu’il rejetteroit avec hauteur toute proposition d’altérer la moindre clause du traité ; qu’il se voyoit d’un côté sûr, et comme à la veille de conclure la paix avec le Turc ; que, d’un autre côté, le roi de Sicile continuoit de faire des propositions avantageuses à la maison d’Autriche et que la cour de Vienne accepteroit si l’Angleterre lui donnoit quelque occasion de retirer sa parole : inconvénients que le roi d’Angleterre vouloit surtout éviter par affection et par tendresse pour le roi d’Espagne, car il prétendoit que Sa Majesté Catholique devoit lui savoir beaucoup de gré de ce qu’il avoit fait pour elle et les ministres anglois feignoient de ne pouvoir comprendre l’injustice que la cour de Madrid leur faisoit, de les accuser de partialité pour l’empereur, quand ils servoient réellement l’Espagne, et qu’ils faisoient voir par les effets la préférence qu’ils donnoient à ses intérêts sur ceux de la maison d’Autriche.