Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/19

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dit et discuté de part et d’autre. Je me contenterai de dire que je fus pressé par ces deux hommes, qui y employèrent tout leur esprit, comme si d’accepter ou de refuser les sceaux, la fortune, le salut, la vie de M. le duc d’Orléans eut été entre mes mains, et n’eut dépendu que du parti qu’à cet égard j’allois prendre ; je n’en pus être persuadé, et je ne me rendis point. Enfin la nuit nous gagnant, et il faut remarquer que c’étoit dans la fin de mai, par le plus beau temps du monde, je leur proposai le retour. Tout le chemin fut encore employé de leur part au pathétique, à la fin aux regrets, à m’annoncer ceux que les événements que j’aurois empêchés me causeroient, et à tous les propos de gens qui s’étoient promis de réussir, et qui s’en voyoient déçus. En arrivant au château neuf, je me gardai bien d’entrer chez moi ; je les conduisis où étoit la compagnie, avec laquelle je me mêlai pour me défaire de mes deux hommes, qui près de sept heures durant m’avoient fatigué à l’excès. Leur voiture les attendoit depuis longtemps, ils causèrent un peu debout avec le monde, enfin me dirent adieu et s’en aillèrent.

Je n’ai jamais compris cette fantaisie de M. le duc d’Orléans, encore moins l’acharnement de Canillac à me persuader. J’ai toujours cru que, M. le duc d’Orléans y alloit de bonne foi, pour avoir dans la place des sceaux un homme parfaitement sur et ferme qui l’aideroit et le fortifieroit à se débarrasser des menées et des entreprises du parlement, et qui toutefois par ce qu’il en avoit expérimenté sur l’affaire du duc du Maine lors du lit de justice des Tuileries, et sur la personne aussi du premier président, ne le mèneroit pas trop loin ; M. de La Force aussi, ravi d’être chargé de quelque commission que ce fut, bien aise de voir ôter les sceaux à la robe, et d’y voir un duc ulcéré contre le premier président et le parlement, en place de les barrer et de les mortifier. L’abbé Dubois, avec qui je n’étois pas bien, et que j’avois depuis outré par l’aventure que j’ai racontée sur son sacre, sans lequel rien d’important ne se faisoit alors, auroit,