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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/23

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Il témoigna une grande tranquillité, qui dans peu lui coûta la vie, sort ordinaire de presque tous ceux qui se survivent à eux-mêmes. Sa retraite fut sans exemple. Ce fut dans un couvent de filles dans le faubourg Saint-Antoine, qui s’appelle la Madeleine de Tresnel [1], ou il s’étoit accommodé depuis longtemps un appartement dans le dehors qu’il avoit rendu beau et complet, commode comme une maison, ou il alloit tant qu’il pouvoit depuis longues années. Il avoit procuré, même donné beaucoup à ce couvent, à cause d’une Mme de Veni, qui en étoit supérieure, qu’il disoit sa parente, et qu’il aimoit beaucoup. C’étoit une personne fort attrayante, et qui avoit infiniment d’esprit, dont on ne s’est pas avisé de mal parler. Tous les Argenson lui faisoient leur cour ; mais ce qui étoit étrange, c’est qu’étant lieutenant de police, elle sortoit lorsqu’il étoit malade pour venir chez lui et demeurer auprès de lui. Il conserva le rang, l’habit et toutes les marques de garde des sceaux, mais pour sa chambre ; car il n’en sortit plus que deux ou trois fois pour aller voir M. le duc d’Orléans par les derrières, qui lui continua toujours beaucoup de considération ; l’abbé Dubois aussi qui le fut voir plusieurs fois. Hors deux ou trois amis particuliers et sa plus étroite famille, il ne voulut voir personne, et s’ennuya cruellement ; c’est ce même couvent dont après sa mort, et cette même Mme de Veni, dont Mme la duchesse d’Orléans a depuis fait ses délices.

  1. Communauté de femmes de l’ordre de Saint-Benoît, fondée à Tresnel, ou Traisnel, en Champagne, au XIIe siècle. Ces religieuses s’étaient établies à Paris, en 1654. On trouvera, dans le Journal de Barbier (juin 1720), quelques-unes des chansons et autres plaisanteries, auxquelles donna lieu la retraite de l’ancien garde des sceaux.