Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/235

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si ces corps ne m’en pouvoient fournir ce nombre. Je m’écriai à la folie et à la dépense. Je représentai au régent et au cardinal l’inutilité d’un accompagnement si nombreux, si coûteux, si embarrassant ; qu’on n’avoit jamais fait d’accompagnement militaire à aucun ambassadeur, excepté le marquis de Lavardin, parce qu’il alloit à Rome, malgré le pape Innocent XI, soutenir à vive force les franchises des ambassadeurs que le pape avoit supprimées, et à quoi les autres puissances avoient consenti ; qu’on savoit que le pape, tout autrichien, seroit soutenu par les forces que feroient couler dans Rome le vice-roi de Naples et le gouverneur de Milan, ce qui avoit obligé d’envoyer force gardes-marine et officiers à Rome, pour soutenir M. de Lavardin ; que moi, au contraire, j’allois exercer une ambassade de paix, d’union, de ralliement intime, qui n’avoit aucun besoin d’escorte qu’outre l’inutilité et la dépense extrême de mener et défrayer quarante officiers des troupes du roi, ces officiers ne pourroient être que de jeunes gens dont la tête, la galanterie indiscrète et française, les aventures me donneroient plus d’affaires que toutes celles de l’ambassade. Rien de plus évidemment vrai et raisonnable que ces représentations ; rien de plus inutile et de plus mal reçu.

Le cardinal avoit entrepris de me ruiner et de me susciter tout ce qu’il pourroit d’embarras, d’affaires et de tracasseries en Espagne. Il crut avec raison que rien n’étoit plus propre à l’y faire réussir que de me charger de quarante officiers. Faute d’en trouver, je n’en menai que vingt-neuf, et si le cardinal réussit du côté de ma bourse, je fus si heureux, et ces messieurs si sages, qu’il n’en tira rien de ce qu’il s’en étoit proposé. Il manda à Sartine de faire en Espagne tout ce qui ne se pouvoit faire que là, pour mes équipages, mules, carrosses, domestiques espagnols, provisions, outre celles que je tirerois de France, lequel s’en acquitta à souhait.

Sartine étoit de Lyon, où il s’étoit mêlé de banque, et