Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/27

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je vins de Meudon travailler avec M. le duc d’Orléans à mon ordinaire ; dès que je parus (et le premier président étoit seul dans une grande pièce du grand appartement qui donne dans le petit) : « Je vous attends avec impatience, me dit le régent, pour vous parler de choses importantes ; » et s’enfonçant dans cette autre vaste pièce où étoit l’estrade et le dais, se mit à se promener avec moi et me conta toute l’affaire de l’hôtel de ville comme on la lui avoit rendue, ajouta tout de suite que c’étoit un complot du maréchal de Villeroy et du prévôt des marchands, et qu’il avoit résolu de les chasser tous deux.

Je lui laissai jeter son feu, puis j’essayai à lui ôter ce complot de la tête, en lui faisant le portrait de Trudaine. Je condamnai sa rusticité, je blâmai surtout son imprudence, en remontrant qu’elle ne méritoit ni un éclat ni un affront tel que de l’ôter de place avant la fin de sa prévôté, mais bien un avertissement un peu ferme d’être plus mesuré dans ses paroles. Pour donner plus de poids aux miennes, je lui dis que ce n’étoit point par amitié pour Trudaine que je lui parlois, puisqu’il pouvoit se souvenir qu’il m’avoit accordé son agrément d’une place d’échevin de Paris pour Boulduc, apothicaire du roi, très distingué dans son métier, et que j’aimois mois beaucoup de tout temps ; que là-dessus je l’avois demandée à Trudaine, qui me l’avoit refusée avec la dernière brutalité. Le régent s’en souvint très bien, mais insista toujours, et moi aussi. L’altercation fut encore plus vive sur le maréchal de Villeroy. Je lui représentai le double danger, dans un temps aussi critique, de toucher pour la seconde fois à l’éducation du roi, après l’avoir ôtée au duc du Maine, et quels affreux discours cela feroit renouveler dans un public outré du désespoir de sa fortune pécuniaire et parmi un peuple qu’on cherchoit à soulever ; à l’égard du prévôt des marchands, que ce seroit confirmer toute l’induction que les malintentionnés voudroient tirer de son imprudence, et perdre toute confiance et tout crédit à jamais que d’ôter à cette